Voir au-delà de la crise

La date du jeudi 12 mars 2020 est incontestablement, pour moi autant que pour plusieurs de mes collègues, une journée qui restera longtemps dans notre mémoire.  C’est au cours de cette journée que le cours des événements s’est bousculé, que tout a basculé.  Le coronavirus était, me semblait-il, loin de nous.  On voyait des images et on entendait les nouvelles en provenance de l’Asie ou de l’Europe.  Dans ma tête, comme l’Ebola ou d’autres virus, ça ne pouvait se rendre jusqu’en Amérique, au Canada, au Québec ou encore moins toucher mon École.  Comme directeur d’établissement scolaire, j’avais vécu la préparation de la grippe H1N1 sans jamais avoir à mettre le plan d’urgence à exécution.  Dans ma tête, il en était de même avec la COVID-19.  Aujourd’hui, 2 ans plus tard jour pour jour, je réalise à quel point nous n’avions aucune idée de la portée de cette pandémie qui nous a tous affectés et comment elle allait nous mobiliser, à différents égards.

Je me revois, enfermé dans mon bureau tout l’après-midi du 12 mars 2020 avec mon équipe de direction, à tenter de trouver comment écouter, en direct, le point de presse du gouvernement.  Inutile de préciser que, pour les nombreux points de presse quotidiens du premier ministre qui ont suivi, le site Web de l’Assemblée nationale s’est rapidement retrouvé dans les favoris de mon navigateur.  Puis, ce même après-midi, à tenter d’imaginer la suite des choses avec mes collègues et prendre les décisions qui s’imposaient cette journée-là.  C’est ainsi que la fermeture de l’École, un peu à la manière de celle faite lors d’une tempête de neige, avait alors été décrétée pour le lendemain.  Pour que la Ligue nationale de hockey décide d’annuler les matchs au programme ce soir-là, il fallait que ça soit toute une tempête!  Entre le ton de mon courriel de consignes générales acheminé au personnel le matin du 12 mars à 9h30 (il était alors question de la rupture des stocks de lingettes désinfectantes, imaginez!) et celui, à 16h10, où je leur annonçais qu’un cas était suspecté parmi les élèves et que l’École était fermée le lendemain pour évaluation de la situation, il y avait une légère différence.  Puis, au-delà des annonces au personnel et aux parents pour le lendemain, je me questionnais sur la suite des choses…  On sentait bien que le contexte était grave et qu’il allait se passer quelque chose d’important.  Partout dans le monde, tout allait très vite et je commençais à comprendre que le Québec n’y échapperait pas.  Bien que la fermeture du vendredi (vendredi 13!) était déclarée et que les enseignants avaient reçu la consigne de profiter de cette journée pour imaginer une continuité pédagogique à distance, ce concept restait, je l’avoue, assez flou dans ma tête.  La question pédagogique occupait donc une grande place dans ma réflexion, mais, comme directeur général d’une école privée, l’aspect des ressources humaines et celui lié aux finances m’inquiétaient tout autant.  J’avais alors fait un rapide calcul pour déterminer les pertes si toute forme d’enseignement était cessée et que, du même coup, on ne pouvait réclamer le paiement des droits de scolarité.  Le résultat était frappant et ça ne s’avérait pas une option.  Ainsi se terminait ma première journée de cette crise qui, on ne le savait pas encore, ne faisait que commencer…

Le lendemain, malgré la fermeture de l’École décrétée, le technicien informatique, mon équipe de direction et moi étions au poste pour tenter de résoudre la question de la continuité pédagogique à distance.  Celle qui, sans le savoir encore, allait nous permettre de poursuivre notre mission auprès des élèves inscrits cette année-là jusqu’au mois de juin (et même éviter les bris de service jusqu’à ce jour lors des autres fermetures décrétées).  C’est ainsi, à partir du contact d’une de mes directrices, des explications d’une de nos enseignantes et des informations colligées par le technicien informatique que débutait l’analyse de différentes plateformes de visioconférence.  Le pari fait ce matin-là allait s’avérer gagnant puisque le ministre de l’Éducation annonçait, lors du point de presse du même jour, la fermeture des écoles pour les deux prochaines (ses fameuses deux semaines de vacances!).  On connait tous la suite pour la grande région métropolitaine…  De notre côté, une semaine plus tard, notre choix quant à la plateforme de visioconférence était fait et une vidéo explicative était réalisée par le technicien pour présenter son fonctionnement ainsi que différentes fonctionnalités à l’équipe enseignante.  Le reste de cette journée (et de nombreuses autres jusqu’en juin 2020, ou même pour les 2 années scolaires qui suivirent!) allait ensuite être consacré à lire les informations relayées par la Fédération (la FÉEP) et le Ministère, analyser le tout en équipe de direction et rédiger différentes communications.  Dans toutes mes 20 années à la direction d’écoles, je n’ai jamais autant écrit de courriels au personnel ou rédigé de communiqués aux parents.  Jour, soir fin de semaine, il n’y avait pas de meilleur moment ou d’heure idéale; il n’y avait que l’urgence qui me servait de guide.  Souvent pour annoncer ou préciser différentes informations annoncées par le premier ministre ou le ministre de l’Éducation, mais parfois aussi pour corriger ce qui avait été annoncé précédemment puisque les plans venaient de changer, parce qu’« on construisait l’avion en plein vol » comme le disait souvent le premier ministre.  Rares sont ceux qui avaient déjà imaginé qu’un jour la société serait paralysée à ce point et que les écoles resteraient fermées pour une aussi longue période.  En tout cas, certainement pas moi.  De la même façon, je n’avais jamais imaginé, en devenant directeur d’école, que je serais forcé à procéder à des mises à pied temporaires.  Jusqu’au 12 mars 2020, l’éducation était, à mes yeux, un domaine qui demeurait à l’abri d’une foule de circonstances qui étaient l’apanage des autres secteurs du monde du travail.

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Je pourrais continuer encore longtemps à raconter, jour après jour à la manière d’un journal intime, la crise pandémique que j’ai vécue comme directeur général d’une école privée, mais ça n’apporterait rien de bien différent que ce que plusieurs autres personnes ont vécu, de leur côté.  Enseignants, infirmières, restaurateurs, artistes, entrepreneurs, …  Tout le monde y a goûté depuis deux ans!  Chacun peut, à sa façon et selon sa réalité, souligner la lourdeur et la complexité de la situation, le surplus de travail engendré, les nombreux côtés négatifs des fermetures ou des contraintes sanitaires vécues et j’en passe.

Par contre, ce que je souhaite mettre en lumière avec ce billet et ce qui, à mon avis, est important de souligner en cette journée d’anniversaire, ce sont davantage les notions de collaboration, d’entraide et de créativité qui ont été mises en exergue tout au long de cette crise.  Exactement comme le souligne le proverbe africain « Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin », l’intelligence collective a été déterminante, voire cruciale, tout au long de la pandémie. 

À ce titre, je me considère privilégié d’avoir pu compter sur trois directrices avec qui j’ai pu partager la gestion des différents aspects de la crise.  Hormis ce travail d’équipe réalisé sans compter notre temps ainsi que la complémentarité de nos forces respectives, les résultats n’auraient certainement pas été les mêmes; ni pour les élèves, ni pour le personnel, ni pour l’École.  Je leur suis grandement reconnaissant, entre autres raisons, pour la créativité (que je n’ai pas toujours) dont elles ont fait preuve à maintes reprises en pensant en dehors de la boîte.  Même si nous étions déjà des complices professionnels, la COVID nous a rapprochés.  Dans le même ordre d’idées, la compréhension et l’appui démontrés par les membres du conseil d’administration sont d’autres beaux exemples de collaboration.  Une cellule de crise virtuelle a rapidement été mise en place pour assurer la gouvernance dans un contexte jamais vu et pour lequel il y avait souvent plus de questions que de réponses.  La confiance des administrateurs, tout comme celle de la très grande majorité des parents de nos élèves je dirais, s’est fait sentir dès le début et m’a permis une légitimité dans chacune des décisions difficiles.  J’ai également une pensée pour la collaboration avec mes collègues directeurs du réseau de l’éducation, particulièrement ceux et celles des écoles situées à proximité avec qui j’ai développé des liens qui durent toujours.  La COVID a fait tomber certaines barrières, notamment celle de la compétition pour faire naître l’entraide.  Et que dire de la collaboration de tous les instants avec la FÉEP?  Sans le partage d’information, quotidien par moments (entre autres avec la Note d’information | COVID-19 publiée au cours du printemps 2020), des différents responsables de dossier, la gestion de plusieurs aspects de mon établissement n’aurait pas été la même.  Finalement, quand je repense au travail des enseignants au cours des derniers mois, particulièrement lors du printemps 2020 alors que la poursuite des apprentissages se réalisait uniquement à distance, les mots souplesse et créativité résonnent dans ma tête.  Bien sûr, il y a eu des exemples éloquents en matière d’entraide et de collaboration entre collègues, mais chacun des enseignants a aussi dû puiser dans ses ressources les plus profondes en matière de souplesse et de créativité pour s’adapter à la situation qui prévalait.

Encore mieux!  Nombre des apprentissages mentionnés précédemment qui ont été réalisés en urgence pendant la COVID font toujours partie de nos pratiques professionnelles, encore en présentiel.  Certains ont même été bonifiés depuis.  Comment vous dire…  Même dans les périodes les plus creuses, les moments les plus difficiles, il y a toujours du positif.  Alors que c’était difficile à croire le 12 mars 2020, la preuve est maintenant faite.

COVID – Portrait d’une réalité scolaire

Nous traversons une période sans précédent et sommes tous affectés, d’une manière ou une autre, par la crise de la COVID.  Certains plus que d’autres et mon but n’est aucunement de faire une comparaison.  À l’heure des différents bilans de fin d’année, je souhaite simplement relater une réalité.  La réalité du monde scolaire.  La réalité des directions d’établissements.

Je ne remonterai pas jusqu’au 12 mars 2020, journée où tout a basculé, mais c’est depuis cette date qu’une spirale nous entraîne, nous et nos équipes.  Je les salue d’ailleurs au passage et les félicite pour l’incroyable capacité d’adaptation ainsi que la résilience dont elles ont fait preuve.  Je n’évoquerai pas tous les plans qu’on a élaborés, défaits et recommencés pour répondre aux exigences des différents contextes du début de la pandémie (souvenons-nous simplement du retour qui ne s’est jamais produit dans la grande région de Montréal en mai 2020 ou de l’idée des camps pédagogiques dans les semaines qui ont suivi).  Je ne ressasserai pas non plus les souvenirs du plan d’urgence imaginé pour la rentrée de l’année scolaire 2020-21 avec tous les réaménagements nécessaires (le guide de la rentrée publié aux parents de mon École à ce moment-là avait 20 pages!) et ceux du fameux concept des bulles-classes.  Comment les oublier?  Le port du masque dans les aires communes puis dans les classes, les trois étapes d’évaluation réduites à deux en cours de route, la subite bascule à distance avant et après le congé des Fêtes puis combien d’autres ajustements demandés au cours de la dernière année scolaire…  Je n’ai pas besoin de revenir sur tous ces éléments qui se sont ajoutés à notre quotidien ou qui sont venus nous bousculer, mes collègues directeurs et moi.  Non.  Je n’ai qu’à relater la réalité des 5 derniers mois du calendrier scolaire pour illustrer la portée de mon propos.

Au-delà du fait que la rentrée s’est déroulée dans un optimisme relatif avec, entre autres, la reprise des activités parascolaires puis que la vaccination nous laissait voir une certaine lueur au bout du tunnel, la COVID et sa réalité nous ont rapidement rattrapés.

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« J’ai toujours adoré mon emploi et la dose d’imprévus ou d’adrénaline quotidienne qu’elle me procure.  Peu importe ce qui se présente, je priorise et je gère.  Puis, avec l’expérience des 20 dernières années et une bonne dose d’organisation, je finis toujours par me rattraper à la fin de la journée ou encore le weekend.  Je n’ai jamais compté mes heures, mais je crois tout de même, au cours de toutes ces années, avoir réussi à conserver un certain équilibre de vie.  Là, depuis la dernière rentrée, c’est différent.  Il n’y a comme plus assez d’heures dans une semaine pour arriver à tout gérer, à garder l’équilibre. Le sentiment de compétence ou d’efficacité personnelle en prend pour son rhume!»

Même s’il m’est difficile de bien décrire et faire ressentir toute la lourdeur des multiples communications quotidiennes, des nombreuses démarches et de toutes tâches qui découlent des différents aspects reliés à la pandémie, je peux assurément affirmer que c’est la gestion des cas affectant les écoles depuis la rentrée qui demeure le principal enjeu pour les directions d’établissements (particulièrement au primaire). Ainsi, même si le MÉQ, la CNESST et notre Direction régionale de Santé publique nous ont transmis à tour de rôle et encore trop tard (en pleine rentrée du personnel ou même des élèves dans certains cas!) les dizaines de pages à lire pour finaliser les préparatifs de notre début d’année, même si les consignes changent fréquemment et que certaines informations sont parfois divergentes, même si l’annonce du déploiement des tests rapides au primaire a suscité son lot d’inquiétudes et de détails logistiques à gérer auprès du personnel impliqué et des parents et même si le dossier des lecteurs de CO2 avance à pas de tortue, c’est définitivement la gestion des cas de COVID qui rend nos journées, déjà bien remplies avec nos tâches et fonctions habituelles, si difficiles par moments. Juste pour vous donner une idée, j’ai, à ce jour, plus de trois fois plus de situations déclarées depuis la rentrée que dans toute l’année scolaire précédente. Par ailleurs, avec la reprise des activités parascolaires et l’éclatement des bulles, chaque cas déclaré cette année nécessite minimalement un ou deux appel(s) téléphonique(s) ainsi que l’envoi de cinq à six courriels. Comme chaque situation est souvent unique, c’est une démarche qui demande entre 90 et 120 minutes à chaque fois selon la complexité et les différents contacts du cas. Sans compter le retour de l’enquêteur de la Santé publique ainsi que les courriels ou les appels du personnel et des parents qui ont des questions pour lesquelles j’ai souvent les réponses (c’est le seul avantage d’être à l’an 2 de la pandémie!). Autrement, je relis certains documents, je communique avec un collègue ou bien j’écris à des connaissances à la Santé publique pour avoir l’heure juste et ainsi être en mesure de transmettre la bonne information. Mais tout ça, c’est du temps. Du temps que je n’ai pas pour mon école ou mon premier rôle dans ce milieu. Sans compter la pression liée à la vigie, en continu (jours, soirs, fins de semaine), des déclarations de cas ou celle relative à la transmission d’une information de qualité aux parents ainsi qu’au personnel afin d’assurer la santé et la sécurité de ma communauté. Au plus fort de l’automne, à l’intérieur de trois semaines, ce sont 5 classes qui ont dû être fermées pour « basculer » en enseignement à distance et plus d’une vingtaine d’élèves déclarés positifs à la COVID. Je vous laisse imaginer à quoi pouvaient ressembler mes journées…

Je ne veux surtout pas avoir l’air de me plaindre.  Je le répète, je ne fais aucune comparaison avec d’autres milieux ou la réalité de certaines personnes, dans des secteurs d’activité différents.  D’ailleurs, je lève mon chapeau au personnel du domaine de la santé qui ne comptait déjà plus ses heures avant mars 2020, aux entrepreneurs de PME ou aux restaurateurs et tenanciers de bars qui sont sur la corde raide depuis ce moment.  Pour ne nommer que ceux-là…  Au moment où Omicron nous interpelle, que la vaccination n’est pas optimale au primaire (ou même dans la population en général à ce qu’on peut comprendre de la 3e dose attendue) et que le retour à l’école en janvier génère plus de questions que de réponses, je sentais simplement le besoin de décrire une réalité.  Un portait probablement bien pâle pour une réalité passablement plus complexe.  Ma réalité et celle de tous mes collègues à la direction d’un établissement scolaire.

La COVID-19 ou l’exacerbation du savoir improviser

À l’heure des bilans, comme on le fait souvent en fin d’année civile, je repense à tout ce qu’on a vécu depuis le mois de janvier dernier et plus particulièrement à partir du 12 mars.  Ça ne devait durer que deux semaines qu’ils disaient…  Quels bouleversements incroyables dans le quotidien des enseignants !  Quel chambardement au niveau des pratiques éducatives connues depuis fort longtemps !  Qu’il s’agisse de l’enseignement ou de l’évaluation, la plupart des repères ayant servi jusque-là se sont évanouis du jour au lendemain.  Exit la routine, les vieilles habitudes ainsi que les sentiers balisés !  Idem pour les directions d’établissement et combien d’autres membres du personnel de nos écoles.  Le contexte pandémique totalement inconnu, voire même surréel, imposait alors de nouvelles règles qui généraient chacune leur lot de défis et d’incertitudes.  Le travail du monde scolaire, particulièrement celui des enseignants, avait un tout autre visage.

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L’effet enseignant réfère à l’influence, parfois sans trop le savoir ou le réaliser, qu’un enseignant ou un autre membre du personnel d’une école exerce sur l’apprentissage, le développement et la réussite des élèves qu’on lui confie.  Ce travail est loin de se limiter à maîtriser un contenu et à le diffuser tout assurant une saine gestion de la classe.  Non, c’est beaucoup plus que cette vision mécanique de la chose.  Beaucoup plus !

C’est en lisant un court article signé par le professeur Jean-Pierre Pelletier portant sur le savoir improviser que j’ai réalisé combien la capacité à improviser des enseignants ainsi que la créativité étaient au cœur de l’acte professionnel, comment elles influençaient positivement l’effet enseignant.  Combinées l’une à l’autre comme deux ingrédients essentiels d’une recette, elles se sont avérées vitales depuis mars dernier.  En effet, quiconque s’est déjà vu confier un groupe sait combien le climat de classe qu’il instaure, les stratégies éducatives qu’il met en œuvre et les liens qu’il entretient avec les élèves sont déterminants pour « ouvrir la porte de l’apprentissage » chez chacun d’entre eux.  Ce n’est d’ailleurs pas étonnant que 10 des 16 premiers facteurs ayant une très grande influence (« d » ≥ 0,80) selon le classement de Hattie se rapportent directement à l’enseignant, aux méthodes d’enseignement ou encore aux stratégies pédagogiques.

« La gestion de classe, c’est en bonne partie la gestion des imprévus.  Et la profession d’enseignant en est remplie au quotidien !  Qu’ils soient novices ou expérimentés, les enseignants improvisent d’innombrables fois par jour, que ce soit devant un élève en crise de panique, une alarme de feu, une guêpe sur un bureau, une question volontairement embêtante, un bris d’équipement…  Devant ces situations, l’enseignant doit rehausser sa vigilance et sa créativité.  Il passe en « mode improvisationnel », ce qui lui permet de voir la situation autrement et de transformer l’imprévu en potentialité. »

Gérer sa classe en temps de COVID : le savoir improviser au secours des enseignants

Le Soleil, édition numérique, 13 décembre 2020

Ainsi, le défi pas toujours évident à relever en présentiel pour plusieurs enseignants s’est vite complexifié lors du long confinement ou encore avec toutes les mesures sanitaires imposées (à juste titre) lors de la rentrée de septembre.  Comment maintenir une relation personnalisée et positive avec chacun de nos élèves à travers une caméra et un micro ?  Comment déceler les signes d’incompréhension ou d’inattention dans une mosaïque à l’écran ou encore derrière un masque ?  Comment continuer à motiver nos élèves les plus vulnérables alors que plusieurs activités scolaires originales et signifiantes ne peuvent avoir lieu ou qu’une très grande majorité des activités parascolaires sont suspendues?  Autant de questions auxquelles le réseau a été confronté depuis mars dernier et qui risquaient de miner l’effet enseignant.

Rapidement, nous avons su faire autrement.  Le nous réfère d’abord aux enseignants, mais aussi, au sens large, à mes collègues de la direction ainsi qu’au personnel de soutien.  J’emploie volontairement l’expression faire autrement pour me permettre d’insister sur l’immense créativité de certains et la grande capacité à improviser des autres.  Il fallait non seulement faire autrement quelque chose que les enseignants n’avaient jamais imaginé faire, mais il fallait en plus, pour nos élèves, aussi bien le faire qu’en classe.  En formation des maîtres on insiste sur planification adéquate et une préparation rigoureuse, mais les qualités d’improvisateur d’un enseignant se sont avérées tout aussi essentielles.  Je dirais même vitales afin de réagir rapidement désamorcer une situation, saisir une opportunité pour illustrer différemment un concept ou une notion, modifier la planification à la suite à un imprévu, etc.  C’est précisément à partir de là qu’on a vu des gens apprendre à maîtriser les possibilités d’une plateforme de visioconférence en une fin de semaine, planifier des entretiens personnalisés en marge du contenu des journées de continuité pédagogique à distance, enseigner devant la porte d’un lave-vaisselle qui servait de tableau blanc, collaborer étroitement avec les collègues sur différents aspects de la tâche ou encore explorer ensemble de nouveaux outils tant pour l’enseignement que pour la rétroaction à offrir aux élèves.  Sans que ce soit simple ou aisé pour le personnel des écoles (et je parle ici en toute connaissance de cause…), le contexte pandémique nous aura tout de même permis d’améliorer notre capacité à accepter de ne pas être en plein contrôle, à démontrer davantage de souplesse, à être créatifs sous pression ou à rebondir à partir d’une contrainte.  Ces quelques illustrations du faire autrement développé depuis mars dernier démontrent avec éloquence que la créativité, la collaboration et la capacité à improviser sont des compétences qui, bien qu’ayant toujours été utiles au monde de l’éducation, sont maintenant jugées indispensables pour plusieurs.  Rien ne sera plus comme avant…

Les derniers mois auront donc été fort différents et, comme le disait l’aventurier Frédéric Dion, « Les plus grands obstacles à nos réalisations de demain sont nos doutes d’aujourd’hui ».  Pour lui, tout le succès de ses aventures réside dans l’application et le respect des trois lois de la Nature :  l’interdépendance, la créativité et la persévérance.  Ainsi, le 12 mars dernier, nous n’avons eu ni le choix ni le temps de douter.  Nous avons été plongés, bien malgré nous, dans une épreuve hors du commun où l’histoire s’écrivait au fur et à mesure.  Qu’à cela ne tienne, c’est en faisant preuve d’une collaboration extraordinaire, en démontrant toutes nos capacités à improviser habilement tout en étant définitivement résolus à faire autrement que nous y sommes arrivés.  Nous ne sommes certainement pas au bout de nos surprises sur toute ces forces insoupçonnées ainsi que nos atouts professionnels qui pour la plupart, espérons-le, seront maintenus et réinvestis dans les prochains mois, les prochaines années.  La pandémie aura eu au moins ça de bon…

Bonne année 2021 ! Collaboration, improvisation, créativité et résilience à chacune des 52 prochaines semaines !

Il y a souvent des opportunités derrière les contraintes…

J’en étais déjà convaincu, je le suis encore plus maintenant : l’effet enseignant est une donnée capitale en éducation.  Une semaine après le début de la fermeture des écoles en cette crise de la COVID-19 et ces avis d’isolement ou de distanciation, je constate que le facteur enseignant est toujours aussi primordial dans l’acte d’enseigner.

Vous me direz sans doute que c’est évident puisqu’il faut parfois être coupé de quelque chose ou de quelqu’un pour réaliser que ça nous fait défaut ou que cette personne nous manque.  Hattie aussi nous dit la même chose par certaines des conclusions de sa recherche sur plus de 800 méta analyses (2015).   En effet, parmi les stratégies ayant le plus d’influence sur la réussite des élèves ou celles pour lesquelles il est probable qu’un enseignant ait un effet positif sur son groupe, on retrouve :

  • les rétroactions ou « feedback » (d = 0,73)
  • l’enseignement de stratégies en résolution de problèmes ou « problem solving teaching » (d = 0,63)
  • l’enseignement dirigé par l’enseignant ou « direct instruction » (d = 0,60)
  • le fait d’établir des relations positives avec ses élèves ou « teacher-student relationship » (d = 0,52)

Ainsi, l’apprentissage à distance, bien que primordial en ces temps de confinement pour garder nos élèves actifs et leur permettre de maintenir un rapport avec l’école, a ses limites.  Le lien avec l’enseignant manque à plusieurs et s’avère donc être une des clés enseignement.  C’est à ce moment que les plateformes (gratuites pour plusieurs d’entre elles) permettant la visioconférence deviennent d’excellents compléments au travail fait à domicile.  Qu’on y ait recours tout simplement pour maintenir un lien visuel et les relations avec les élèves, qu’on choisisse de l’utiliser pour l’enseignement de stratégies ou encore qu’on profite de la plateforme pour offrir de la rétroaction aux élèves, on ne peut minimiser l’effet enseignant.  Dans les circonstances, le complément offert par la visioconférence est essentiel et les enseignants devraient y avoir recours aussi souvent que possible selon l’âge de leurs élèves et le contexte propre à chaque niveau scolaire.

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Loin de souhaiter que cette crise de la COVID-19, la fermeture des écoles et les mesures de confinement qui l’accompagnent durent dans le temps, je demeure convaincu que les enseignants sauront assurer la continuité pédagogique en plus de maximiser leur effet grâce aux moyens technologiques dont ils disposent.  L’histoire est remplie d’exemples du genre où l’humanité a fait preuve d’adaptation.  Ce ne sera probablement pas parfait du premier coup, mais ayons confiance en nos moyens.  Courage !