Pour ce billet, je tenterai de laisser de côté les références à des recherches ou aux méta-analyses, dont celles de Hattie, afin d’y aller de mon expérience pour commenter certaines situations. J’aurais pu écrire « pour laisser parler mon cœur » que ça n’aurait pas été faux… C’est que, plusieurs fois dans ma carrière d’enseignant ou, depuis maintenant près de quinze ans, à titre de directeur d’école, j’ai entendu des phrases comme « Encore en congé? », « Deux mois de vacances pour s’occuper d’enfants, ce n’est pas un peu trop? » et « Déjà la relâche? Vous venez de finir les vacances des Fêtes! ». Je me suis (trop) souvent contenté de sourire maladroitement pour cacher une réaction trop vive, surtout depuis que je suis à la direction – rectitude politique oblige, mais j’ai toujours eu envie de hurler à mes interlocuteurs qu’ils ne savent NULLEMENT de quoi ils parlent ou ce qui se passe à l’intérieur du « système » pour lancer de pareilles inepties. Voici donc mes réponses, sans ménager les susceptibilités, à tous ces commentaires gratuits ou ces paroles lancées en l’air, la plupart du temps, sans réels fondements.
Le « cas » des journées pédagogiques
Tout d’abord, mettons quelque chose au clair : les enseignants travaillent lors des journées pédagogiques. Ce ne sont pas des journées de congé! Les parents d’enfants du primaire qui viennent les reconduire au service de garde et qui croisent aléatoirement des enseignants peuvent témoigner : les enseignants sont bel et bien présents et, de ce fait, pas en congé à la maison. Cela étant, je peux vous assurer qu’à travers les différentes réunions (avec la direction, le cycle ou le département, les autres collègues, les comités, certains parents, les professionnels), les différentes activités de formation continue, les commandes de matériel, le travail de planification (seul ou avec les collègues), la correction, la saisie de notes et de commentaires pour les bulletins à produire, la préparation de cours et la production de matériel didactique le travail ne manque pas pour remplir les 5 petites heures prévues à l’école lors de ces journées (car être enseignant c’est travailler à l’école, mais aussi faire de longues heures à la maison les soirs, les fins de semaine, les journées de congé et même pendant les vacances!). Sur ce dernier point – la production de matériel didactique, avez-vous seulement une idée du temps nécessaire, même en 2017 avec tous les moyens à notre disposition, pour produire une activité qui saura intéresser, captiver et faire progresser? Enseigner ce n’est pas que suivre un guide et faire remplir des pages aux élèves. Comme une pièce de théâtre, il y a l’écriture, la mise en scène, les décors, les costumes et les répétitions… C’est énormément de travail avant le soir de première! Sans compter qu’en enseignement la pièce est souvent ajustée, voire réécrite, d’une période à l’autre, d’une année scolaire à l’autre.
« Avez-vous seulement une idée du temps nécessaire, même en 2017 avec tous les moyens à notre disposition, pour produire une activité qui saura intéresser, captiver et faire progresser? »
Pour conclure sur ce point, j’émets l’hypothèse que c’est peut-être l’appellation Journée pédagogique qui est en cause, car pas assez explicite pour une majorité. Nos collègues des autres provinces du Canada utilisent l’expression PD Day pour Professional Development Day et j’aime à penser que ce vocable est encore plus évocateur afin d’illustrer adéquatement la somme de travail accompli par les enseignants lors des journées pédagogiques. On veut des professionnels de l’enseignement pour nos enfants; donnons-leur le temps et les moyens! Et ça passe, entre autres, par les journées pédagogiques…
Deux mois hors de la classe
Combien de fois a-t-on entendu des commentaires, des allusions ou même des moqueries sur les deux mois de vacances des enseignants? Très souvent. Trop souvent! Réglons d’abord une question selon un point de vue comptable, même si cette perspective doit rarement être prise en considération lorsqu’on aborde la tâche et le salaire d’un enseignant (on ne veut pas faire le calcul du taux horaire avec toutes les heures effectuées en dehors de l’école ou du « 40 heures » reconnu depuis l’équité salariale…) : la plupart des enseignants sont payés pour leurs 200 jours de travail effectués entre les mois d’août et juin. Ils ne sont donc pas payés pour les semaines d’été. Mais selon les différents modèles de rémunération, leur salaire pour ces 200 jours de travail peut être réparti sur 52 semaines. Bon, c’est dit! Restons encore un peu dans le même sujet pour déboulonner l’autre mythe qui veut que les enseignants gagnent trop cher pour s’occuper des enfants, pour faire du gardiennage (!). Sur cette dernière assertion, je lisais récemment un tweet qui me faisait bien rire :
Dans les faits, c’est plutôt un salaire deux fois moindre (77 633 $ jusqu’au 30 mars 2017) qui attend l’enseignant au sommet de son échelle salariale, peu importe qu’il ait 25 ou 32 élèves devant lui.
Laissons maintenant les considérations pécuniaires de côté et attardons-nous à l’importance d’accorder ce temps d’arrêt aux enseignants. Pour être passé par là huit étés avant d’accéder à un poste de direction, je peux vous assurer que c’est nécessaire. Que l’on pense à la lourdeur de la tâche ou aux statistiques sur le « décrochage » des enseignants, débutants ou non, cette pause bien méritée est bienvenue, voire salutaire, dans plusieurs cas. Travailler avec « de l’humain », être en contact quotidien avec « l’émotion », gérer des cas lourds jour et nuit (parce qu’il est souvent difficile de se détacher ou de ne pas « rapporter » ces cas à la maison), vivre la précarité, … c’est usant. Loin de moi l’idée de faire des comparaisons avec d’autres métiers ou professions, je persiste tout de même à croire que les vacances d’été sont pleinement justifiées pour les enseignants (et tout le reste du personnel d’une école qui travaille de près avec les élèves). Si on veut qu’ils soient en mesure de recommencer l’année scolaire suivante en offrant le meilleur d’eux-mêmes aux prochains élèves qu’on leur confiera, cette pause hors de la classe est nécessaire. J’écris volontairement hors de la classe, car je n’ai pas connu beaucoup de mes collègues qui n’ouvraient pas leurs cahiers, guides du maître et programmes durant les mois d’été. Il y a, certes, une part de lectures qui est faite à la plage ou sur le bord de la piscine en juillet, mais c’est assurément en août qu’ils se remettent le nez dans leurs livres pour revoir la planification, retravailler certaines situations d’apprentissage ou, tout simplement, préparer la rentrée. D’ailleurs, sur ce dernier point, j’ai toujours été impressionné de voir certains de mes enseignants se présenter à l’école quelques jours avant la première journée de travail rémunéré afin de remettre leur classe en ordre et y installer de nouveaux éléments produits durant l’été ou bien achetés, souvent avec leur propre argent (!). Quand je vous disais qu’on ne veut pas connaître le taux horaire d’un enseignant. C’est encore plus vrai l’été!
La relâche, on ne s’en priverait plus!
Qu’elle soit vécue à la fin du mois de février ou encore au début de mars, cette semaine est appréciée autant par les élèves que les enseignants. Cauchemar pour certains parents d’élèves du primaire qui ne peuvent avoir droit à des vacances de leur employeur à ce temps de l’année, c’est parfois les grands-parents qui prennent le relais ou encore l’option du camp de jour qui est retenue. Peu importe, il s’agit d’une semaine bien placée dans le calendrier scolaire en ce qui a trait à son effet sur l’énergie des enseignants (et celle de leurs élèves) afin d’amorcer le dernier droit de l’année scolaire. D’autant plus que depuis quelques années, la troisième et dernière étape compte pour 60% de la note finale. Pas étonnant que certaines écoles en programment même jusqu’à trois dans leur calendrier scolaire annuel…
Mathématiquement, que l’on vive l’année scolaire de la fin août à la fin juin avec une semaine de relâche à la fin de l’hiver ou du début septembre à la fin juin sans interruption en février-mars, ça revient exactement à la même chose en ce qui concerne les 180 jours de classe où des services éducatifs doivent être dispensés selon le Régime pédagogique de l’enseignement préscolaire, primaire et secondaire au Québec. Ainsi, ceux qui disent que les vacances d’été des enseignants sont trop longues ne peuvent être contre la semaine de relâche. D’un côté comme de l’autre, c’est une semaine de plus qu’on ajoute à l’été, en juin ou en août. Sur une note plus sérieuse, avec les huit semaines de vacances actuellement connues l’été, il devient judicieux de planifier une semaine de relâche à la fin de l’hiver et, ainsi, offrir une occasion de contrer les blues de l’hiver. Connu souvent le nom de trouble affectif saisonnier (TAS), cet état d’esprit touche plusieurs personnes de l’automne à la fin de l’hiver ou l’arrivée du printemps. Peu importe que les enseignants (et leurs élèves) soient affectés par un changement au niveau de leur production de sérotonine et/ou de mélatonine ou bien qu’ils vivent des perturbations de leur horloge biologique, toutes ces raisons confirment que la semaine de relâche a judicieusement été planifiée. Ceux qui la remettent en cause sont probablement atteints du TAS ou, tout simplement, jaloux.
Alors, à ceux qui disent que les enseignants sont toujours en congé, je réponds qu’ils travaillent plus qu’ils ne le croient et qu’une bonne part de ce travail est réalisée sans forcément que ça paraisse. De plus, je défie ces mêmes détracteurs de passer une semaine, ou même une seule journée, aux côtés d’un enseignant. Leur opinion face aux vacances d’été ou encore face à la semaine relâche s’en trouverait alors nuancée. Comme le dit le proverbe japonais, « Celui qui confesse son ignorance la montre une fois ; celui qui essaie de la cacher la montre plusieurs fois. ». Bonne relâche, bien méritée, aux enseignants ainsi qu’au personnel des écoles!