La mue d’un directeur d’école

Comme un reptile, je suis dans une période de mue.  Non, je ne vous parlerai pas ici de problèmes dermatologiques personnels, mais bien d’une « mue professionnelle ».  Une mue qui m’a récemment amené à annoncer mon départ de l’école que je dirige depuis presque dix ans et pour laquelle ma « peau professionnelle » était adaptée, ajustée, voire confortable.  Cela dit, à l’instar d’un reptile qui grandit et vit des périodes de mues tout au long de sa vie, j’étais rendu à cette étape.

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L’analogie avec la mue des reptiles peut vous paraître surprenante, mais j’aime à penser que nous évoluons ou que nous « grandissons », nous aussi, toute notre vie professionnelle.  En tout cas, c’est ma situation; je ne suis plus le directeur que j’étais à ma première affectation, il y a près de 20 ans.  En effet, mis à part mes premiers changements d’école comme enseignant, j’en suis à ma septième « mue » comme directeur et chacune d’elles était nécessaire dans mon cheminement professionnel.  Chaque rencontre, chaque mandat, chaque projet ou chaque décision ont toujours été déterminants et ont servi à me façonner en plus de me faire grandir en tant que cadre scolaire.  Je ne crois pas que l’on naisse avec la pleine mesure de toutes nos compétences.  Au-delà des connaissances qu’on acquiert par différents moyens, je pense plutôt que ce sont nos diverses expériences qui nous forment et qui nous font cheminer, tant comme personnes que comme professionnels.  D’où les mues nécessaires et hautement enrichissantes…  Et ce, même si elles sont parfois surprenantes aux yeux de certains.

« Une seule chose est constante, permanente, c’est le changement »  Héraclite

En fonction de l’espèce, la mue nécessitera plus ou moins de temps.  Pour un reptile, changer de peau est un acte assez rapide en soi.  Néanmoins, il existe toute une préparation à la mue qui dépend de différents facteurs, dont certains qui se rapportent à son environnement, mais aussi son âge.  Encore là, j’y vois différentes similitudes avec ma situation alors que quitter un milieu après pratiquement une décennie est absolument déchirant, même si c’est ma décision.  Les liens tissés au fil des années, les routines établies, la complicité avec certains, la crédibilité acquise, … bref un niveau de confort et une certaine facilité ont retardé ma « mue ».  Toutefois, l’appel du changement et l’intérêt pour un défi au début de la cinquantaine ont, une fois de plus, été plus forts que l’inertie du statu quo.  C’est pratiquement instinctif pour moi; j’ai besoin de me lancer dans le vide, de tester mes capacités et mes limites, d’aller au bout de mes possibilités.  Comme le caractère inné de la mue pour un reptile, même si ce processus naturel le rend vulnérable pendant un certain temps.

J’ai hésité avant d’utiliser l’analogie de la mue d’un reptile, mais je considère que l’image qu’elle révèle correspond bien à ce que j’ai vécu depuis l’annonce de mon départ et ce que je m’apprête à vivre dans un nouveau milieu.  J’ai adoré mes dernières années; j’ai rencontré des gens extraordinaires et j’ai développé une foule de compétences qui m’ont permis d’accomplir de grandes choses.  Autant j’en garderai d’excellents souvenirs, autant je regarde maintenant en avant avec excitation après cette « mue professionnelle » qui, malgré son caractère énergivore sur le plan personnel, me permettra un nouveau départ professionnel.  Pour reprendre un vieux proverbe, pas de changement, pas d’agrément!

Voir au-delà de la crise

La date du jeudi 12 mars 2020 est incontestablement, pour moi autant que pour plusieurs de mes collègues, une journée qui restera longtemps dans notre mémoire.  C’est au cours de cette journée que le cours des événements s’est bousculé, que tout a basculé.  Le coronavirus était, me semblait-il, loin de nous.  On voyait des images et on entendait les nouvelles en provenance de l’Asie ou de l’Europe.  Dans ma tête, comme l’Ebola ou d’autres virus, ça ne pouvait se rendre jusqu’en Amérique, au Canada, au Québec ou encore moins toucher mon École.  Comme directeur d’établissement scolaire, j’avais vécu la préparation de la grippe H1N1 sans jamais avoir à mettre le plan d’urgence à exécution.  Dans ma tête, il en était de même avec la COVID-19.  Aujourd’hui, 2 ans plus tard jour pour jour, je réalise à quel point nous n’avions aucune idée de la portée de cette pandémie qui nous a tous affectés et comment elle allait nous mobiliser, à différents égards.

Je me revois, enfermé dans mon bureau tout l’après-midi du 12 mars 2020 avec mon équipe de direction, à tenter de trouver comment écouter, en direct, le point de presse du gouvernement.  Inutile de préciser que, pour les nombreux points de presse quotidiens du premier ministre qui ont suivi, le site Web de l’Assemblée nationale s’est rapidement retrouvé dans les favoris de mon navigateur.  Puis, ce même après-midi, à tenter d’imaginer la suite des choses avec mes collègues et prendre les décisions qui s’imposaient cette journée-là.  C’est ainsi que la fermeture de l’École, un peu à la manière de celle faite lors d’une tempête de neige, avait alors été décrétée pour le lendemain.  Pour que la Ligue nationale de hockey décide d’annuler les matchs au programme ce soir-là, il fallait que ça soit toute une tempête!  Entre le ton de mon courriel de consignes générales acheminé au personnel le matin du 12 mars à 9h30 (il était alors question de la rupture des stocks de lingettes désinfectantes, imaginez!) et celui, à 16h10, où je leur annonçais qu’un cas était suspecté parmi les élèves et que l’École était fermée le lendemain pour évaluation de la situation, il y avait une légère différence.  Puis, au-delà des annonces au personnel et aux parents pour le lendemain, je me questionnais sur la suite des choses…  On sentait bien que le contexte était grave et qu’il allait se passer quelque chose d’important.  Partout dans le monde, tout allait très vite et je commençais à comprendre que le Québec n’y échapperait pas.  Bien que la fermeture du vendredi (vendredi 13!) était déclarée et que les enseignants avaient reçu la consigne de profiter de cette journée pour imaginer une continuité pédagogique à distance, ce concept restait, je l’avoue, assez flou dans ma tête.  La question pédagogique occupait donc une grande place dans ma réflexion, mais, comme directeur général d’une école privée, l’aspect des ressources humaines et celui lié aux finances m’inquiétaient tout autant.  J’avais alors fait un rapide calcul pour déterminer les pertes si toute forme d’enseignement était cessée et que, du même coup, on ne pouvait réclamer le paiement des droits de scolarité.  Le résultat était frappant et ça ne s’avérait pas une option.  Ainsi se terminait ma première journée de cette crise qui, on ne le savait pas encore, ne faisait que commencer…

Le lendemain, malgré la fermeture de l’École décrétée, le technicien informatique, mon équipe de direction et moi étions au poste pour tenter de résoudre la question de la continuité pédagogique à distance.  Celle qui, sans le savoir encore, allait nous permettre de poursuivre notre mission auprès des élèves inscrits cette année-là jusqu’au mois de juin (et même éviter les bris de service jusqu’à ce jour lors des autres fermetures décrétées).  C’est ainsi, à partir du contact d’une de mes directrices, des explications d’une de nos enseignantes et des informations colligées par le technicien informatique que débutait l’analyse de différentes plateformes de visioconférence.  Le pari fait ce matin-là allait s’avérer gagnant puisque le ministre de l’Éducation annonçait, lors du point de presse du même jour, la fermeture des écoles pour les deux prochaines (ses fameuses deux semaines de vacances!).  On connait tous la suite pour la grande région métropolitaine…  De notre côté, une semaine plus tard, notre choix quant à la plateforme de visioconférence était fait et une vidéo explicative était réalisée par le technicien pour présenter son fonctionnement ainsi que différentes fonctionnalités à l’équipe enseignante.  Le reste de cette journée (et de nombreuses autres jusqu’en juin 2020, ou même pour les 2 années scolaires qui suivirent!) allait ensuite être consacré à lire les informations relayées par la Fédération (la FÉEP) et le Ministère, analyser le tout en équipe de direction et rédiger différentes communications.  Dans toutes mes 20 années à la direction d’écoles, je n’ai jamais autant écrit de courriels au personnel ou rédigé de communiqués aux parents.  Jour, soir fin de semaine, il n’y avait pas de meilleur moment ou d’heure idéale; il n’y avait que l’urgence qui me servait de guide.  Souvent pour annoncer ou préciser différentes informations annoncées par le premier ministre ou le ministre de l’Éducation, mais parfois aussi pour corriger ce qui avait été annoncé précédemment puisque les plans venaient de changer, parce qu’« on construisait l’avion en plein vol » comme le disait souvent le premier ministre.  Rares sont ceux qui avaient déjà imaginé qu’un jour la société serait paralysée à ce point et que les écoles resteraient fermées pour une aussi longue période.  En tout cas, certainement pas moi.  De la même façon, je n’avais jamais imaginé, en devenant directeur d’école, que je serais forcé à procéder à des mises à pied temporaires.  Jusqu’au 12 mars 2020, l’éducation était, à mes yeux, un domaine qui demeurait à l’abri d’une foule de circonstances qui étaient l’apanage des autres secteurs du monde du travail.

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Je pourrais continuer encore longtemps à raconter, jour après jour à la manière d’un journal intime, la crise pandémique que j’ai vécue comme directeur général d’une école privée, mais ça n’apporterait rien de bien différent que ce que plusieurs autres personnes ont vécu, de leur côté.  Enseignants, infirmières, restaurateurs, artistes, entrepreneurs, …  Tout le monde y a goûté depuis deux ans!  Chacun peut, à sa façon et selon sa réalité, souligner la lourdeur et la complexité de la situation, le surplus de travail engendré, les nombreux côtés négatifs des fermetures ou des contraintes sanitaires vécues et j’en passe.

Par contre, ce que je souhaite mettre en lumière avec ce billet et ce qui, à mon avis, est important de souligner en cette journée d’anniversaire, ce sont davantage les notions de collaboration, d’entraide et de créativité qui ont été mises en exergue tout au long de cette crise.  Exactement comme le souligne le proverbe africain « Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin », l’intelligence collective a été déterminante, voire cruciale, tout au long de la pandémie. 

À ce titre, je me considère privilégié d’avoir pu compter sur trois directrices avec qui j’ai pu partager la gestion des différents aspects de la crise.  Hormis ce travail d’équipe réalisé sans compter notre temps ainsi que la complémentarité de nos forces respectives, les résultats n’auraient certainement pas été les mêmes; ni pour les élèves, ni pour le personnel, ni pour l’École.  Je leur suis grandement reconnaissant, entre autres raisons, pour la créativité (que je n’ai pas toujours) dont elles ont fait preuve à maintes reprises en pensant en dehors de la boîte.  Même si nous étions déjà des complices professionnels, la COVID nous a rapprochés.  Dans le même ordre d’idées, la compréhension et l’appui démontrés par les membres du conseil d’administration sont d’autres beaux exemples de collaboration.  Une cellule de crise virtuelle a rapidement été mise en place pour assurer la gouvernance dans un contexte jamais vu et pour lequel il y avait souvent plus de questions que de réponses.  La confiance des administrateurs, tout comme celle de la très grande majorité des parents de nos élèves je dirais, s’est fait sentir dès le début et m’a permis une légitimité dans chacune des décisions difficiles.  J’ai également une pensée pour la collaboration avec mes collègues directeurs du réseau de l’éducation, particulièrement ceux et celles des écoles situées à proximité avec qui j’ai développé des liens qui durent toujours.  La COVID a fait tomber certaines barrières, notamment celle de la compétition pour faire naître l’entraide.  Et que dire de la collaboration de tous les instants avec la FÉEP?  Sans le partage d’information, quotidien par moments (entre autres avec la Note d’information | COVID-19 publiée au cours du printemps 2020), des différents responsables de dossier, la gestion de plusieurs aspects de mon établissement n’aurait pas été la même.  Finalement, quand je repense au travail des enseignants au cours des derniers mois, particulièrement lors du printemps 2020 alors que la poursuite des apprentissages se réalisait uniquement à distance, les mots souplesse et créativité résonnent dans ma tête.  Bien sûr, il y a eu des exemples éloquents en matière d’entraide et de collaboration entre collègues, mais chacun des enseignants a aussi dû puiser dans ses ressources les plus profondes en matière de souplesse et de créativité pour s’adapter à la situation qui prévalait.

Encore mieux!  Nombre des apprentissages mentionnés précédemment qui ont été réalisés en urgence pendant la COVID font toujours partie de nos pratiques professionnelles, encore en présentiel.  Certains ont même été bonifiés depuis.  Comment vous dire…  Même dans les périodes les plus creuses, les moments les plus difficiles, il y a toujours du positif.  Alors que c’était difficile à croire le 12 mars 2020, la preuve est maintenant faite.

COVID – Portrait d’une réalité scolaire

Nous traversons une période sans précédent et sommes tous affectés, d’une manière ou une autre, par la crise de la COVID.  Certains plus que d’autres et mon but n’est aucunement de faire une comparaison.  À l’heure des différents bilans de fin d’année, je souhaite simplement relater une réalité.  La réalité du monde scolaire.  La réalité des directions d’établissements.

Je ne remonterai pas jusqu’au 12 mars 2020, journée où tout a basculé, mais c’est depuis cette date qu’une spirale nous entraîne, nous et nos équipes.  Je les salue d’ailleurs au passage et les félicite pour l’incroyable capacité d’adaptation ainsi que la résilience dont elles ont fait preuve.  Je n’évoquerai pas tous les plans qu’on a élaborés, défaits et recommencés pour répondre aux exigences des différents contextes du début de la pandémie (souvenons-nous simplement du retour qui ne s’est jamais produit dans la grande région de Montréal en mai 2020 ou de l’idée des camps pédagogiques dans les semaines qui ont suivi).  Je ne ressasserai pas non plus les souvenirs du plan d’urgence imaginé pour la rentrée de l’année scolaire 2020-21 avec tous les réaménagements nécessaires (le guide de la rentrée publié aux parents de mon École à ce moment-là avait 20 pages!) et ceux du fameux concept des bulles-classes.  Comment les oublier?  Le port du masque dans les aires communes puis dans les classes, les trois étapes d’évaluation réduites à deux en cours de route, la subite bascule à distance avant et après le congé des Fêtes puis combien d’autres ajustements demandés au cours de la dernière année scolaire…  Je n’ai pas besoin de revenir sur tous ces éléments qui se sont ajoutés à notre quotidien ou qui sont venus nous bousculer, mes collègues directeurs et moi.  Non.  Je n’ai qu’à relater la réalité des 5 derniers mois du calendrier scolaire pour illustrer la portée de mon propos.

Au-delà du fait que la rentrée s’est déroulée dans un optimisme relatif avec, entre autres, la reprise des activités parascolaires puis que la vaccination nous laissait voir une certaine lueur au bout du tunnel, la COVID et sa réalité nous ont rapidement rattrapés.

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« J’ai toujours adoré mon emploi et la dose d’imprévus ou d’adrénaline quotidienne qu’elle me procure.  Peu importe ce qui se présente, je priorise et je gère.  Puis, avec l’expérience des 20 dernières années et une bonne dose d’organisation, je finis toujours par me rattraper à la fin de la journée ou encore le weekend.  Je n’ai jamais compté mes heures, mais je crois tout de même, au cours de toutes ces années, avoir réussi à conserver un certain équilibre de vie.  Là, depuis la dernière rentrée, c’est différent.  Il n’y a comme plus assez d’heures dans une semaine pour arriver à tout gérer, à garder l’équilibre. Le sentiment de compétence ou d’efficacité personnelle en prend pour son rhume!»

Même s’il m’est difficile de bien décrire et faire ressentir toute la lourdeur des multiples communications quotidiennes, des nombreuses démarches et de toutes tâches qui découlent des différents aspects reliés à la pandémie, je peux assurément affirmer que c’est la gestion des cas affectant les écoles depuis la rentrée qui demeure le principal enjeu pour les directions d’établissements (particulièrement au primaire). Ainsi, même si le MÉQ, la CNESST et notre Direction régionale de Santé publique nous ont transmis à tour de rôle et encore trop tard (en pleine rentrée du personnel ou même des élèves dans certains cas!) les dizaines de pages à lire pour finaliser les préparatifs de notre début d’année, même si les consignes changent fréquemment et que certaines informations sont parfois divergentes, même si l’annonce du déploiement des tests rapides au primaire a suscité son lot d’inquiétudes et de détails logistiques à gérer auprès du personnel impliqué et des parents et même si le dossier des lecteurs de CO2 avance à pas de tortue, c’est définitivement la gestion des cas de COVID qui rend nos journées, déjà bien remplies avec nos tâches et fonctions habituelles, si difficiles par moments. Juste pour vous donner une idée, j’ai, à ce jour, plus de trois fois plus de situations déclarées depuis la rentrée que dans toute l’année scolaire précédente. Par ailleurs, avec la reprise des activités parascolaires et l’éclatement des bulles, chaque cas déclaré cette année nécessite minimalement un ou deux appel(s) téléphonique(s) ainsi que l’envoi de cinq à six courriels. Comme chaque situation est souvent unique, c’est une démarche qui demande entre 90 et 120 minutes à chaque fois selon la complexité et les différents contacts du cas. Sans compter le retour de l’enquêteur de la Santé publique ainsi que les courriels ou les appels du personnel et des parents qui ont des questions pour lesquelles j’ai souvent les réponses (c’est le seul avantage d’être à l’an 2 de la pandémie!). Autrement, je relis certains documents, je communique avec un collègue ou bien j’écris à des connaissances à la Santé publique pour avoir l’heure juste et ainsi être en mesure de transmettre la bonne information. Mais tout ça, c’est du temps. Du temps que je n’ai pas pour mon école ou mon premier rôle dans ce milieu. Sans compter la pression liée à la vigie, en continu (jours, soirs, fins de semaine), des déclarations de cas ou celle relative à la transmission d’une information de qualité aux parents ainsi qu’au personnel afin d’assurer la santé et la sécurité de ma communauté. Au plus fort de l’automne, à l’intérieur de trois semaines, ce sont 5 classes qui ont dû être fermées pour « basculer » en enseignement à distance et plus d’une vingtaine d’élèves déclarés positifs à la COVID. Je vous laisse imaginer à quoi pouvaient ressembler mes journées…

Je ne veux surtout pas avoir l’air de me plaindre.  Je le répète, je ne fais aucune comparaison avec d’autres milieux ou la réalité de certaines personnes, dans des secteurs d’activité différents.  D’ailleurs, je lève mon chapeau au personnel du domaine de la santé qui ne comptait déjà plus ses heures avant mars 2020, aux entrepreneurs de PME ou aux restaurateurs et tenanciers de bars qui sont sur la corde raide depuis ce moment.  Pour ne nommer que ceux-là…  Au moment où Omicron nous interpelle, que la vaccination n’est pas optimale au primaire (ou même dans la population en général à ce qu’on peut comprendre de la 3e dose attendue) et que le retour à l’école en janvier génère plus de questions que de réponses, je sentais simplement le besoin de décrire une réalité.  Un portait probablement bien pâle pour une réalité passablement plus complexe.  Ma réalité et celle de tous mes collègues à la direction d’un établissement scolaire.

Et si notre gazon était plus vert qu’on le pense ?

Il y a un peu plus de deux semaines, une délégation composée de 115 directions d’écoles parisiennes a visité des écoles privées québécoises, curieuses d’en apprendre davantage sur l’innovation pédagogique et le fonctionnement des écoles de notre réseau.  Pour notre part, à l’École Saint-Joseph, une école primaire située sur le Plateau Mont-Royal, nous avons eu le privilège d’accueillir vingt d’entre elles.

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Cette rencontre a donné lieu à des échanges fort enrichissants.  Les visiteurs ont, entre autres, été particulièrement impressionnés devant les efforts déployés par notre équipe-école afin de favoriser la différenciation pédagogique ainsi que pour mettre en place des conditions soutenant les différents rythmes d’apprentissage.  Ainsi, en plus du travail accompli dans nos différentes classes, de la maternelle à la 6e année, les directrices et les directeurs de la délégation française ont notamment remarqué ce qui est proposé aux élèves inscrits dans nos programmes (musique-études et ID+).

L’école québécoise a fait des pas de géant au cours des dernières années pour diversifier ses approches pédagogiques et amener les élèves à être davantage en action.  Les jeunes doivent toujours maîtriser le français et les mathématiques, apprendre l’histoire et la géographie, et cela demande un effort soutenu et de la rigueur.  On n’y échappe pas.  Toutefois, contrairement aux classes traditionnelles où les élèves sont assis à des pupitres disposés en rangs et assistent à un enseignement magistral ou travaillent en silence, les classes de plusieurs écoles québécoises sont des milieux de vie dynamiques, où les élèves sont activement engagés dans leurs apprentissages prouvant qu’il est possible d’en faire des établissements agréables et stimulants pour tous les jeunes, y compris ceux qui ont plus de difficultés.

 

Soyons fiers du tourisme pédagogique réalisé au Québec

Pour mes collègues et moi, cette visite, les discussions menées avec nos homologues parisiens ainsi que tous les échanges réalisés grâce aux réseaux sociaux nous indiquent que nous sommes sur la bonne voie.  Il ne faut pas avoir peur de s’en enorgueillir, car trop souvent on ne rapporte que les mauvaises nouvelles sur l’état de l’éducation au Québec ou trop souvent on regarde du côté de la Scandinavie en pensant que c’est un système pédagogique modèle.  Je ne dis pas que tout est parfait de notre côté et qu’il ne faut pas rester à l’affût de la recherche ou encore exercer une vigie sur ce qui se fait ailleurs, mais pouvons-nous être fiers de ce qui va bien ?  En ce qui me concerne, je le crois.

Qu’on nous donne les moyens de nos ambitions!

J’ai tardé à écrire ce billet.  Il y a longtemps que j’ai envie de m’exprimer sur cette situation, mais je donnais la chance, j’espérais que la réponse viendrait la semaine suivante, …  Bref, je restais positif et j’évitais le cynisme.  Mais là, c’en est trop!

 

Depuis l’année scolaire 2016-2017, le ministère de l’Éducation offre une allocation supplémentaire aux écoles privées pour améliorer les services aux élèves à risque et aux élèves HDAA.  Communément appelée la mesure 30120, elle vise un ajout de ressources et la mise en place de divers éléments d’interventions liés aux besoins de ces élèves.

La première année, cette bonne nouvelle est arrivée à la fin du mois de mai avec le projet de règles budgétaires.  Dès ce moment, sans nous fournir un formulaire ou un cadre de rédaction précis, on nous annonçait que les projets devaient être présentés avant le 31 juillet.  Il faut avoir déjà travaillé dans une école pour savoir que la fin d’année scolaire est une période passablement occupée et bien remplie.  Épreuves de fin d’année et coordination de tout ce qui s’y rapporte, soirées et autres moments dédiés aux cérémonies et activités de fin d’année, correction et production du dernier bulletin, embauche du nouveau personnel pour la prochaine année, remise des tâches et signature des contrats, commandes en vue de la prochaine année, …  Personne ne chôme dans une école!  Il y a des périodes fortes et le mois de juin en fait partie.  En juillet, alors qu’ils sont en vacances, comment s’asseoir avec les enseignants concernés afin de les consulter et imaginer un projet pour leurs élèves?  Ainsi, dans les faits, nous n’avons eu que quelques jours afin de compléter notre demande pour la mesure 30120.  Je me souviens même de l’avoir finalisée, par téléphone avec une de mes directrices adjointes, alors que, théoriquement, nous étions tous les deux en vacances!  L’idée ici n’est pas de se plaindre ou de tenter de faire pitié.  Comme bon nombre de mes collègues et plusieurs enseignants, on travaille la fin de semaine et même durant l’été.  Ce n’est pas ça la question.  L’idée ici c’est de montrer dans quel contexte nous avons travaillé pour cette première année de la mesure 30120, qui nous a finalement été confirmée le 31 août 2016.

Pour la deuxième année, l’histoire se répète en ce qui concerne le début du processus.  En effet, les règles budgétaires sont confirmées à la fin du mois de mai et, cette fois-ci, on nous demande de faire parvenir nos projets au plus tard… le 16 juin!.  Oublions les deux dernières semaines de juillet où la plupart des directions d’école sont déjà en vacances afin de reprendre le boulot dès le début du mois d’août, on parle donc d’une échéance devancée d’un mois par rapport à l’année précédente!  Pas qu’un mince changement pour une période de l’année scolaire où l’agenda est déjà bien rempli…  Qu’à cela ne tienne, notre demande, bonifiée par rapport à celle de 2016 puisqu’on nous annonçait une majoration de l’allocation, était présentée au ministère le 15 juin 2017.

Malheureusement, l’histoire ne se termine pas ici.  Je dirais même qu’elle ne fait que se poursuivre.  En effet, le 22 juin 2017, nous recevions un courriel en provenance du ministère au sujet d’un suivi sur la mesure 30120 pour l’année scolaire 2016-2017.  Cette missive faisait alors état d’une demande de reddition de comptes sur l’utilisation des sommes reçues pour l’année scolaire 2016-2017.  Un tableau était joint au courriel et on nous demandait de le compléter sommairement pour ensuite le retourner.  Bien conscients qu’il s’agissait d’une première au chapitre de l’aide supplémentaire offerte pour des élèves à risque au secteur privé, il était tout à fait normal pour nous d’avoir à participer à une forme de suivi et d’évaluation.  Ce qui fut moins anodin pour nous fut le fait d’avoir seulement une semaine pour retourner le tout (je rappelle que nous étions le 22 juin!) en plus de lire la note suivante « Ces renseignements sont nécessaires afin de procéder à l’analyse des projets de l’année 2017-2018 ».  Tout un incitatif à procéder rapidement!  Encore une fois, en professionnels de l’éducation que nous sommes, on s’empressa à répondre de façon exhaustive et dans les délais impartis.  En effet, le 28 juin, notre reddition de comptes 2016-2017 était acheminée au ministère accompagnée, une fois de plus, du formulaire de notre demande pour l’allocation de l’année 2017-2018.

Évidemment, basés sur l’expérience de notre première demande, nous étions confiants qu’une réponse viendrait avant la rentrée scolaire 2017.  Cependant, à ce jour, aucune nouvelle de notre demande ou même de la mesure 30120 au sens large.  Vérification faite auprès de mes collègues des autres écoles privées, rien de leur côté non plus.  Des informations ont circulé dans l’informel et on nous parlait d’abord d’un retard dû à l’augmentation de la subvention (donc plus de projets à étudier…) puis de délais liés au remaniement ministériel de la mi-octobre et au déménagement de bureaux qui s’en serait suivi.  Je garderai mes commentaires pour ce dernier passage et je continue à espérer quant au fait d’obtenir notre allocation, bonifiée, pour l’année scolaire en cours.

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Beaucoup de questions, peu de réponses

Vous aurez compris que je suis quelque peu irrité, et je pèse mes mots, par tout ce processus auquel nous avons participé diligemment, j’oserais même dire docilement, depuis près de 18 mois. D’autant plus que nous n’avons toujours aucune nouvelle, au 29 octobre, de notre demande en vue de l’année scolaire 2017-2018.

D’abord parce que 2 des 10 mois de l’année scolaire viennent de s’écouler et qu’il s’agit de semaines cruciales dans notre projet.  En effet, une bonne part de l’allocation demandée va au dépistage et à l’intervention précoce.  Même s’il n’est jamais trop tard pour agir, disons que plus on intervient tôt, meilleures sont les chances de réussite.  C’est le principe même de l’intervention précoce…  Aurons-nous les résultats escomptés avec l’arrivée de professionnels en décembre?

Puis, parce qu’il devient de plus en plus difficile, plus l’année scolaire avance, d’imaginer qu’on trouvera les ressources humaines nécessaires à notre projet.  Trouver une orthopédagogue pour remplacer la nôtre ayant déjà été un défi au printemps dernier, j’ose à peine imaginer ce que représentera celui d’en attirer une pour du temps partiel, une partie de l’année…  Et que dire de celui de trouver une orthophoniste dans les mêmes conditions?

De plus, que penser du silence du ministère alors que les personnes chargées d’étudier les demandes ont eu 6 semaines de plus cette année (17 juin au 31 juillet)?  Je veux bien croire qu’un plus grand nombre d’écoles aient présenté un projet pour la mesure 30120, mais je décroche lorsque rendus au 29 octobre, nous n’avons aucune nouvelle.  Les responsables du ministère ne peuvent pas nous demander, en juin, de réagir à leurs demandes en une ou deux semaines et n’avoir pris ou transmis aucune décision depuis ce temps.  Ça ne peut pas être deux poids, deux mesures…  Chose certaine, ça manque de sérieux!

 

Vivement une publication des règles budgétaires plus hâtive au printemps ainsi que la conversion des allocations supplémentaires en allocation de base afin d’avoir les moyens de nos ambitions!

Les résolutions de la rentrée

Me voici de retour !  Il y a maintenant plus de trois mois que j’ai publié mon dernier billet sur ce blogue.  Je pourrais invoquer toutes sortes de raisons : la fin d’année scolaire et ses multiples événements ou échéances, le recrutement de personnel et tout ce qui en découle, d’intenses démarches liées à un projet d’envergure, …  La vérité c’est que la fatigue accumulée et l’arrivée du beau temps m’ont gardé loin de mon ordinateur.  Cela dit, et c’est précisément le sujet de ce billet, j’ai très hâte de retourner à l’école pour reprendre le boulot !

C'est la rentree (meaning Back to schoo in french) written on a black board background with a wave of colorful wooden pencils

Avec l’arrivée du mois d’août vient le retour des pêches de l’Ontario, des allergies saisonnières dues à l’herbe à poux, des annonces à propos de la reprise des téléromans, des épluchettes de blé d’Inde, mais aussi les différents messages à propos du retour à l’école.  On les entend quotidiennement, on les voit partout ; on ne peut les nier.  C’est un peu comme les phases de la lune, les marées ou les saisons ; ça revient avec une régularité déconcertante !  Certains diront que c’est trop tôt pour en parler, d’autres essaieront de la nier ou de la repousser aussi loin que possible, mais elle arrivera bien cette journée, à la fin du mois d’août, où la porte de tous les établissements s’ouvrira pour démarrer une nouvelle année scolaire.  Aussi bien s’y préparer, tranquillement s’il le faut, mais dès maintenant !

 

Enfant, adolescent ou adulte, j’ai toujours aimé l’école.  Ce n’est probablement pas étranger au fait que je ne l’ai jamais quittée, que j’y suis encore pour gagner ma vie et que j’y serai jusqu’à ma retraite.  J’ai toujours aimé le défi que posait la nouvelle année scolaire.  Au-delà du fait que je retrouvais mes copains, que je découvrais mes nouveaux enseignants, que je faisais de nouveaux apprentissages, que je m’engageais dans des projets inusités ou de nouvelles activités, j’ai toujours apprécié le fait qu’on pouvait repartir à zéro, se fixer de nouveaux objectifs ou encore améliorer certains comportements.  Comme si on pouvait toujours recommencer pour faire mieux.  Du moins, c’était l’objectif…  Aujourd’hui, je comprends que j’ai eu la chance d’avoir des parents qui valorisaient l’éducation et qui m’ont toujours soutenu à travers ma scolarité.  Je saisis aussi toute l’importance de la qualité des écoles que j’ai fréquentées et de l’engagement de la plupart des enseignants que j’ai croisés.  C’est, sans aucun doute, ce que Hattie appellerait des facteurs d’influence (d > 0.30).

 

Mais revenons à mon rapport à la nouvelle année scolaire.  Alors que plusieurs de mes camarades de classe du primaire, bon nombre de mes amis du secondaire et même, plus récemment, certains de mes collègues de travail étaient pris d’un réel malaise les jours précédant la rentrée, j’ai toujours vécu positivement mes derniers jours du congé estival.  Inconsciemment (ou consciemment ?!?), ce nouveau départ me permettait de prendre des résolutions face à moi-même, au travail à accomplir dans les prochains mois ainsi qu’aux comportements à adopter ou à améliorer pour favoriser ma réussite.  Quelle chance !  Je pouvais me faire (une fois de plus – si on compte les résolutions du Nouvel An) des promesses pour amorcer l’année scolaire du bon pied.  Pas important de savoir combien de temps j’allais les tenir ; j’étais positif face à moi-même et à l’école !  J’entrevoyais la rentrée comme une occasion de faire mieux que l’année scolaire précédente, une occasion pour me dépasser (j’ai toujours été compétitif).  Sans vous donner tous les détails, de toutes ces années passées sur les bancs d’école, je peux simplement vous dire, à l’instar des résolutions du Nouvel An, que ça ne durait pas toujours.  Qu’à cela ne tienne, ça m’a au moins permis de vivre sereinement toutes ces rentrées scolaires.

 

Aujourd’hui, comme adulte, enseignant ou même directeur d’école, c’est la même chose.  Sans prendre formellement des résolutions, je me fixe des objectifs.  À partir des résultats de l’année précédente, de mes attentes, de nouvelles idées, de défis personnels, …  Voilà pourquoi j’aime toujours autant l’arrivée du mois d’août et de sa fièvre du retour à l’école.  Je vois encore et toujours une occasion de mieux faire, un challenge avec moi-même.  Je crois donc véritablement que c’est une chance que nous avons, acteurs du système scolaire, d’avoir une pause estivale qui permette une réelle séparation entre deux années scolaires et, ainsi, un renouveau chaque mois d’août.  À vous de saisir cette occasion pour formuler vos résolutions de la rentrée !

Le verre à moitié plein

J’écris ce billet en réaction à l’article paru hier matin sous la plume de Mario Dumont.  Je n’ai alors pu m’empêcher de réagir brièvement sur Twitter, 140 caractères obligent, en mentionnant « C’est vrai, mais il y a aussi de belles histoires… Et celles-là, on les entend rarement. ».  Je m’expliquerai plus bas, mais ce qui m’irrite dans des textes de ce genre c’est la rapidité avec laquelle une ombre peut être portée sur tout un système et ses acteurs, sans égard aux bons coups, même aussi peu nombreux qu’on puisse les imaginer.

Nuançons d’abord un peu

Je laisse volontairement l’aspect politique et la partisanerie de côté pour affirmer qu’il est vrai que ce qu’identifie monsieur Dumont comme des slogans peut sonner faux par moments.  Cela dit, plusieurs écoles ou commissions scolaires ont de pareilles formulations dans leurs énoncés de vision et je suis convaincu que c’est fondé autant que c’est senti.  Quand on décide de travailler en éducation, c’est d’abord pour l’élève.  Les mauvaises langues prétendront que c’est pour les vacances et ceux qui ignorent tout des conditions de travail du milieu de l’éducation diront que c’est pour le salaire.  Absolument pas!  C’est pour l’élève que tant d’enseignants, d’éducateurs, d’orthopédagogues, de secrétaires, de directeurs, de psychologues, de conseillers en orientation et j’en passe, se lèvent chaque matin et travaillent si fort à leur offrir le meilleur.

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Le meilleur avec, parfois, si peu à notre disposition.  Le meilleur qu’on nous permet dans le cadre mis en place et l’autonomie relative qui l’accompagne…  Je vous le dis, il se fait de petits miracles dans notre système d’éducation!  Alors quand, dans son article, monsieur Dumont parle des « plus chanceux qui croiseront sur leur parcours une personne précieuse… qui placera vraiment l’élève au centre de ses priorités », les chanceux sont plus nombreux qu’on le rapporte!

« Ce qui m’irrite dans des textes de ce genre c’est la rapidité avec laquelle une ombre peut être portée sur tout un système et ses acteurs, sans égard aux bons coups, même aussi peu nombreux qu’on puisse les imaginer. »

Par ailleurs, je plains moi aussi les nombreux parents qui cognent à toutes les portes afin d’obtenir des services pour leur enfant qui souffre, parfois depuis longtemps, sur le plan des apprentissages et/ou sur le plan du fonctionnement.  Qu’il s’agisse de la direction de l’école, du député ou même du protecteur de l’élève (à qui on attribue de grandes vertus ces jours-ci…), personne n’a cette capacité de faire apparaître des professionnels, surtout pas avec les budgets consentis par l’État ces années-ci.  J’écris faire apparaître comme si c’était des magiciens, mais c’est parfois ce qu’on attend d’eux : les besoins sont grands et les ressources plutôt restreintes. Ce sont souvent les cas prioritaires qui bénéficient des services disponibles alors que dans d’autres situations on « saupoudre » à l’ensemble de la clientèle.  Mais on voudrait que l’école en fasse toujours plus dans un contexte limité.  Magie!  Néanmoins, je sais qu’il existe des pratiques qui sont mises de l’avant dans différents milieux et qu’elles ont des effets positifs sur tous les élèves, même ceux en attente d’un diagnostic ou de services spécialisés.  Je ne prétends pas ici qu’on doive se fier uniquement sur les initiatives des écoles et, ainsi, mettre une pression supplémentaire sur le personnel en place, mais je ne crois pas non plus qu’on doive demander systématiquement une évaluation professionnelle, un diagnostic et des services spécialisés pour chacun des élèves qui montrent le moindre signe de différence ou de difficulté.  Par exemple, le décloisonnement hebdomadaire des classes d’un niveau avec la participation de l’orthopédagogue devrait permettre à 95% des élèves de trouver leur compte.  N’est-ce pas ce que le modèle RAI nous enseigne?  Par ailleurs, le fait d’équiper systématiquement nos classes de quelques vélos pupitres et de stations de travail vertical, de coquilles antibruit, de ballons suisses, d’horloges Time Timer, de patins antibruit pour les pupitres et les chaises, … est un autre exemple qui pourrait certainement permettre d’accommoder une grande majorité d’élèves, diagnostiqués TDA/H, ou non.  Ces deux exemples existent réellement.  Pas que dans deux ou trois écoles au Québec!  Pas que dans les écoles privées!  Et je ne parle même pas ici du controversé libre recours, pour tous les élèves, aux différents outils technologiques en situation d’écriture…  Je ne veux surtout pas, par ces quelques exemples, minimiser l’importance de l’évaluation par un professionnel dans certains cas ou la plus-value des services qu’ils peuvent offrir aux élèves ayant des besoins.  Je ne veux pas non plus réduire à sa plus simple expression l’aide à apporter à ces derniers ou banaliser la gestion des difficultés vécues dans la salle de classe.  Je souhaite tout simplement mettre en relief qu’il y a actuellement, malgré ce contexte d’austérité, plusieurs mesures préventives qui sont mises de l’avant par des enseignants ou des équipes-école et qui rejoignent une grande proportion d’élèves.  C’est souvent lorsque les adaptations à mettre en place deviennent plus spécifiques que la situation se complique pour un enseignant dans le rôle qu’il joue face à un élève.  De la même façon, il y a une limite à l’aide qu’il peut apporter à ce même élève pour combler le vide de services.

Une piste de solution

Je pourrais parler ici de l’urgence d’injecter des fonds supplémentaires dans le système, d’accorder une plus grande autonomie dans l’administration de ces sommes pour l’organisation des services par les écoles, d’exiger l’admission d’EHDAA au secteur privé en octroyant un financement adéquat, mais j’énoncerais des idées maintes fois avancées par des acteurs du système d’éducation, même certains spectateurs…  Ce n’est pas que je n’y crois plus.  Au contraire!  Mais j’adhère davantage à une solution qui relève du travail d’équipe.  Pourquoi ne pas permettre le recours aux professionnels des bureaux privés en plus de ceux de nos organisations?  Pourquoi ne pas former différemment les enseignants?

Pourquoi?  Parce qu’un élève présentant un trouble modéré du langage, même dûment diagnostiqué par un orthophoniste, ne pourra obtenir un code difficulté (l’atteinte doit être sévère au plan expressif ET de modérée à sévère au plan réceptif) et, par conséquent, le financement nécessaire pour la mise en place de services spécialisés.  Est-ce à dire qu’il n’a pas besoin de rééducation au plan langagier?  Aucunement.  C’est précisément là, sans l’obligation d’un code de difficulté pour bénéficier d’un certain financement à gérer de façon autonome par l’école, qu’on pourrait penser, si le professionnel n’est pas disponible en scolaire, à recourir aux services du privé.  Est-ce à dire qu’il n’est pas à risque de présenter des difficultés d’apprentissage?  Aucunement.  Probablement que l’orthopédagogue sera interpellé, mais c’est tout de même avec ses enseignants que cet élève passera la grande majorité de son temps à l’école.  Des enseignants qui ont seulement très peu de notions (ou même aucune pour d’autres) sur les difficultés ou troubles spécifiques.  Pourtant, Hattie énonce clairement que la compréhension des difficultés d’apprentissage (Interventions for learning disable) est un des résultats les plus probants (d = 0,77) de sa méta-analyse.  Ainsi, en prévoyant quelques cours obligatoires en adaptation scolaire dès le baccalauréat, puis un certain nombre à suivre en formation continue par la suite, on pourrait croire que la pratique des enseignants ne s’en trouverait qu’améliorée et leurs méthodes encore mieux adaptées aux élèves présentant des difficultés.

Vous aurez donc saisi que je ne suis pas tout à fait d’accord avec monsieur Dumont quand il prétend que « le Québec réserve un sort lamentable à ses enfants en difficulté ».  Est-ce qu’on peut faire mieux?  Absolument!  Cependant, là où je le rejoins dans mon propos c’est que, pour y arriver, on devra faire bouger les choses.  Parce que quand on parle d’éliminer la notion de code de difficulté pour avoir accès au financement, d’accorder à l’école une plus grande autonomie dans sa gestion budgétaire, de recourir à des professionnels en pratique privée et de les rémunérer pour des services offerts à nos élèves, d’ajuster le curriculum universitaire ou d’exiger une certaine formation continue on fait clairement référence à des changements majeurs dans notre système.  En attendant, je reste optimiste et confiant face à la Politique sur la réussite éducative du ministre Proulx.  Peut-être parce que, comme plusieurs de mes collègues du monde de l’éducation, j’ai souvent tendance à voir le verre à moitié plein…

Le côté sombre de la Force…

Après avoir évoqué, dans mes premiers billets, la puissance de l’effet enseignant sous l’angle de la responsabilité professionnelle si on veut être en mesure d’influencer positivement ceux qui nous sont confiés, j’aborderai aujourd’hui l’envers de la médaille de cette noble profession.  Parce que oui, même en éducation, il y a un côté sombre à la Force…

L’idée m’est venue à la lecture d’un texte [1] de 2010 récemment relancé sur Twitter.  Évidemment, à la fois intéressé et fasciné par le pouvoir de l’effet enseignant, le titre m’avait accroché.  Je ne cherchais pas particulièrement à connaître le lien fait avec l’apprentissage de la lecture, mais j’étais plutôt curieux de savoir ce qu’avaient à souligner les auteurs par rapport à l’effet négatif d’un enseignant jugé mauvais sur l’apprentissage réalisé par ses élèves.  En substance, la conclusion des chercheurs corrobore une de celles déjà soulignées par Hattie, à savoir qu’au-delà de facteurs tels que les camarades de classe, les ressources offertes et l’espace physique de la classe, c’est manifestement la qualité de l’enseignant qui influence le rendement des élèves en lecture.

Teacher reading book to class« Le fait d’avoir un enseignant qui livre un enseignement de haute qualité n’élimine pas la variabilité de l’élève ni ne garantit des résultats aussi bons pour chaque élève de la classe. Mais ignorer l’enseignant comme un facteur déterminant de l’environnement est une occasion manquée de favoriser le développement du potentiel des enfants à l’école et leur réussite dans la vie. »

J. Taylor, A. D. Roehrig, B. Soden Hensler, C. M. Connor, et C. Schatschneider (2010)

Cela dit, avais-je réellement besoin de lire ce texte ou d’en chercher d’autres, semblables au premier, pour être convaincu de ce qui peut être affirmé à partir du corolaire de chacune des conclusions de Hattie?  Ce besoin que j’ai, dans différentes circonstances, doit certainement émaner de ma formation scientifique et de la méthode qui s’y rattache : … hypothèse, analyse, conclusion.  Quoi qu’il en soit, je suis rassuré sur le pouvoir de l’effet enseignant.  Mais le suis-je tant que ça puisque pour des centaines, voire des milliers, d’enseignants jugés compétents, il y aura toujours un individu qu’on cite quand on parle d’introduire un Ordre professionnel afin de pouvoir (enfin!) sanctionner les enseignants malhabiles ou carrément nocifs pour les élèves qui subissent leur incompétence ou leurs abus.

 

Ça prend toujours un chef pour jouer une symphonie.

Dans n’importe quel système, il y a aura toujours des éléments qui sont en marge de la norme, qui ne donnent pas les résultats escomptés ou qui font défaut.  Une chaîne, telle une école, est aussi forte que le plus faible de ses maillons.  C’est précisément là que, bien en amont de l’intervention d’un éventuel Ordre professionnel, mes collègues directeurs d’écoles et moi devons intervenir, jouer notre rôle, être proactifs.  Autant il appartient à chaque enseignant de veiller à sa formation continue afin de viser un haut degré de compétence professionnelle, autant il nous appartient, comme directeurs, de s’assurer de mettre des conditions favorables en place pour faire un suivi auprès de nos équipes, encadrer les enseignants et assurer cette formation continue selon les besoins manifestés ou identifiés.  Malheureusement, c’est souvent tout un défi pour nous de pénétrer dans cette zone que tant de gens se plaisent à appeler l’autonomie professionnelle comme si c’était une « chasse gardée », ou pire encore, une « vérité absolue ».  Pourtant, Collerette, Pelletier et Turcotte l’ont clairement démontré dans leur étude [2] réalisée de 2009 à 2012 auprès de six écoles secondaires de l’Estrie; un certain nombre de pratiques ou de comportements d’une direction d’école ont une influence positive sur la réussite des élèves.  En effet, les auteurs notent que plusieurs de ces pratiques supposent une implication de la direction au niveau des pratiques d’enseignement et du travail des enseignants.

« Il est clair que les pratiques des enseignants sont particulièrement importantes pour faire la différence, mais la contribution de la direction de l’école serait loin d’être négligeable, notamment par son influence sur les enseignants. »

P. Collerette, D. Pelletier et G. Turcotte (2013)

À la lumière de cette seule étude, le travail d’une direction d’école ou celui d’une direction pédagogique auprès de ses enseignants doit donc être vu comme un travail d’équipe au service de l’élève.  Trop souvent encore, il est cependant perçu comme une atteinte au concept d’autonomie professionnelle, une ingérence dans la classe, un travail d’évaluation.  Peu importe ce qui précède, mes collègues et moi devrons continuer à jouer notre rôle c’est-à-dire décider, diriger, encadrer ou même sanctionner quand c’est nécessaire, car, comme dans tout orchestre, ça prend un chef pour que les musiciens puissent jouer leur symphonie!  À mon avis, en éducation, tout est question de responsabilité partagée.

 



[1] Le fait d’avoir un mauvais enseignant peut empêcher un enfant d’atteindre son plein potentiel en lecture. Texte traduit et adapté de Poor quality teachers may prevent children from reaching reading potential, study finds; Publié sur le site de l’Université d’État de la Floride; Avril 2010.

[2] Recueil de pratiques de gestion favorisant la réussite; Pierre Collerette, Daniel Pelletier et Gilles Turcotte; CTREQ; 2013.