L’école privée et la ségrégation scolaire : un discours à revoir

En cette période électorale où l’éducation occupe une place, jamais assez grande, dans le discours des politiciens, je désire m’exprimer sur la question de la place des EHDAA à l’école privée.  J’estime que trop de gens pensent encore qu’il n’y a que l’élite qui fréquente le privé.  Pourtant, pour ne nommer que cet exemple, le ministère de l’Éducation offre une mesure financière additionnelle aux écoles privées qui, depuis maintenant trois ans, présentent un projet ayant pour but le soutien de leurs élèves en difficulté.  Cette année, sans surprise, cette enveloppe est complètement dépensée, voire totalement insuffisante pour la plupart des écoles qui présentent un projet.  Il est temps qu’on cesse cette désinformation et qu’on rétablisse les faits.

 

Je suis directeur d’une école primaire privée à Montréal. J’ai auparavant dirigé des écoles publiques. Dans les deux cas, j’ai eu parmi mes élèves des enfants ayant des besoins particuliers : difficultés d’apprentissage, troubles du langage, difficultés d’adaptation, retards scolaires, etc. Dans les deux cas, j’ai toujours travaillé avec mon équipe pour élaborer des plans d’intervention afin de permettre à ces enfants de surmonter leurs difficultés et leur offrir des conditions favorisant la réussite.

La grande différence entre l’école privée et l’école publique ne se situe pas au niveau des élèves, ni au niveau du personnel. Elle se situe au niveau de la gestion de l’école. L’école privée est autonome. Cela lui permet d’avoir une agilité quant à la mise en œuvre de moyens pour accompagner chaque élève qui lui est confié.

Cette année, notre école offre pour la première fois le programme ID+ créé pour les élèves qui, depuis le début de leur parcours scolaire, ont rencontré des difficultés sur le plan des apprentissages. Ce programme vise à offrir, à travers le programme de formation régulier, des conditions avantageuses en vue de favoriser leur réussite. Ainsi, plusieurs adaptations sont proposées pour que l’expérience scolaire de ces élèves soit positive et qu’ils soient en mesure, à la fin de leur primaire, d’entrer au secondaire en étant bien outillés pour réussir.

Schoolboy

Dès l’annonce de la mise en place de ce programme, nous avons reçu plusieurs demandes de parents à bout de souffle, à la recherche de ressources pour leur enfant en difficulté. Il est clair qu’il y a un besoin criant de solutions pour ces élèves.

L’école privée offre une alternative à bien des familles qui souhaitent que leur enfant puisse réussir malgré un diagnostic et/ou de réelles difficultés. Couper le financement aux écoles privées sous prétexte que cela permettrait d’éliminer la ségrégation scolaire, c’est bien mal connaître la réalité des écoles privées qui sont nombreuses à offrir des solutions intéressantes aux élèves ayant des besoins particuliers, et ce même si la subvention pour ces EHDAA qui fréquentent l’école privée n’est pas ajustée comme elle l’est pour ceux qui fréquentent l’école publique.  Mais ça, c’est un autre débat.

Qu’on nous donne les moyens de nos ambitions!

J’ai tardé à écrire ce billet.  Il y a longtemps que j’ai envie de m’exprimer sur cette situation, mais je donnais la chance, j’espérais que la réponse viendrait la semaine suivante, …  Bref, je restais positif et j’évitais le cynisme.  Mais là, c’en est trop!

 

Depuis l’année scolaire 2016-2017, le ministère de l’Éducation offre une allocation supplémentaire aux écoles privées pour améliorer les services aux élèves à risque et aux élèves HDAA.  Communément appelée la mesure 30120, elle vise un ajout de ressources et la mise en place de divers éléments d’interventions liés aux besoins de ces élèves.

La première année, cette bonne nouvelle est arrivée à la fin du mois de mai avec le projet de règles budgétaires.  Dès ce moment, sans nous fournir un formulaire ou un cadre de rédaction précis, on nous annonçait que les projets devaient être présentés avant le 31 juillet.  Il faut avoir déjà travaillé dans une école pour savoir que la fin d’année scolaire est une période passablement occupée et bien remplie.  Épreuves de fin d’année et coordination de tout ce qui s’y rapporte, soirées et autres moments dédiés aux cérémonies et activités de fin d’année, correction et production du dernier bulletin, embauche du nouveau personnel pour la prochaine année, remise des tâches et signature des contrats, commandes en vue de la prochaine année, …  Personne ne chôme dans une école!  Il y a des périodes fortes et le mois de juin en fait partie.  En juillet, alors qu’ils sont en vacances, comment s’asseoir avec les enseignants concernés afin de les consulter et imaginer un projet pour leurs élèves?  Ainsi, dans les faits, nous n’avons eu que quelques jours afin de compléter notre demande pour la mesure 30120.  Je me souviens même de l’avoir finalisée, par téléphone avec une de mes directrices adjointes, alors que, théoriquement, nous étions tous les deux en vacances!  L’idée ici n’est pas de se plaindre ou de tenter de faire pitié.  Comme bon nombre de mes collègues et plusieurs enseignants, on travaille la fin de semaine et même durant l’été.  Ce n’est pas ça la question.  L’idée ici c’est de montrer dans quel contexte nous avons travaillé pour cette première année de la mesure 30120, qui nous a finalement été confirmée le 31 août 2016.

Pour la deuxième année, l’histoire se répète en ce qui concerne le début du processus.  En effet, les règles budgétaires sont confirmées à la fin du mois de mai et, cette fois-ci, on nous demande de faire parvenir nos projets au plus tard… le 16 juin!.  Oublions les deux dernières semaines de juillet où la plupart des directions d’école sont déjà en vacances afin de reprendre le boulot dès le début du mois d’août, on parle donc d’une échéance devancée d’un mois par rapport à l’année précédente!  Pas qu’un mince changement pour une période de l’année scolaire où l’agenda est déjà bien rempli…  Qu’à cela ne tienne, notre demande, bonifiée par rapport à celle de 2016 puisqu’on nous annonçait une majoration de l’allocation, était présentée au ministère le 15 juin 2017.

Malheureusement, l’histoire ne se termine pas ici.  Je dirais même qu’elle ne fait que se poursuivre.  En effet, le 22 juin 2017, nous recevions un courriel en provenance du ministère au sujet d’un suivi sur la mesure 30120 pour l’année scolaire 2016-2017.  Cette missive faisait alors état d’une demande de reddition de comptes sur l’utilisation des sommes reçues pour l’année scolaire 2016-2017.  Un tableau était joint au courriel et on nous demandait de le compléter sommairement pour ensuite le retourner.  Bien conscients qu’il s’agissait d’une première au chapitre de l’aide supplémentaire offerte pour des élèves à risque au secteur privé, il était tout à fait normal pour nous d’avoir à participer à une forme de suivi et d’évaluation.  Ce qui fut moins anodin pour nous fut le fait d’avoir seulement une semaine pour retourner le tout (je rappelle que nous étions le 22 juin!) en plus de lire la note suivante « Ces renseignements sont nécessaires afin de procéder à l’analyse des projets de l’année 2017-2018 ».  Tout un incitatif à procéder rapidement!  Encore une fois, en professionnels de l’éducation que nous sommes, on s’empressa à répondre de façon exhaustive et dans les délais impartis.  En effet, le 28 juin, notre reddition de comptes 2016-2017 était acheminée au ministère accompagnée, une fois de plus, du formulaire de notre demande pour l’allocation de l’année 2017-2018.

Évidemment, basés sur l’expérience de notre première demande, nous étions confiants qu’une réponse viendrait avant la rentrée scolaire 2017.  Cependant, à ce jour, aucune nouvelle de notre demande ou même de la mesure 30120 au sens large.  Vérification faite auprès de mes collègues des autres écoles privées, rien de leur côté non plus.  Des informations ont circulé dans l’informel et on nous parlait d’abord d’un retard dû à l’augmentation de la subvention (donc plus de projets à étudier…) puis de délais liés au remaniement ministériel de la mi-octobre et au déménagement de bureaux qui s’en serait suivi.  Je garderai mes commentaires pour ce dernier passage et je continue à espérer quant au fait d’obtenir notre allocation, bonifiée, pour l’année scolaire en cours.

Business People Analyzing Statistics Financial Concept

Beaucoup de questions, peu de réponses

Vous aurez compris que je suis quelque peu irrité, et je pèse mes mots, par tout ce processus auquel nous avons participé diligemment, j’oserais même dire docilement, depuis près de 18 mois. D’autant plus que nous n’avons toujours aucune nouvelle, au 29 octobre, de notre demande en vue de l’année scolaire 2017-2018.

D’abord parce que 2 des 10 mois de l’année scolaire viennent de s’écouler et qu’il s’agit de semaines cruciales dans notre projet.  En effet, une bonne part de l’allocation demandée va au dépistage et à l’intervention précoce.  Même s’il n’est jamais trop tard pour agir, disons que plus on intervient tôt, meilleures sont les chances de réussite.  C’est le principe même de l’intervention précoce…  Aurons-nous les résultats escomptés avec l’arrivée de professionnels en décembre?

Puis, parce qu’il devient de plus en plus difficile, plus l’année scolaire avance, d’imaginer qu’on trouvera les ressources humaines nécessaires à notre projet.  Trouver une orthopédagogue pour remplacer la nôtre ayant déjà été un défi au printemps dernier, j’ose à peine imaginer ce que représentera celui d’en attirer une pour du temps partiel, une partie de l’année…  Et que dire de celui de trouver une orthophoniste dans les mêmes conditions?

De plus, que penser du silence du ministère alors que les personnes chargées d’étudier les demandes ont eu 6 semaines de plus cette année (17 juin au 31 juillet)?  Je veux bien croire qu’un plus grand nombre d’écoles aient présenté un projet pour la mesure 30120, mais je décroche lorsque rendus au 29 octobre, nous n’avons aucune nouvelle.  Les responsables du ministère ne peuvent pas nous demander, en juin, de réagir à leurs demandes en une ou deux semaines et n’avoir pris ou transmis aucune décision depuis ce temps.  Ça ne peut pas être deux poids, deux mesures…  Chose certaine, ça manque de sérieux!

 

Vivement une publication des règles budgétaires plus hâtive au printemps ainsi que la conversion des allocations supplémentaires en allocation de base afin d’avoir les moyens de nos ambitions!

Remettre les pendules à l’heure…

Récemment, j’avais des échanges sur Twitter avec d’autres acteurs du monde de l’éducation ainsi que certains quidams au sujet des élèves à risque et leur présence dans les écoles privées.  Sans prétendre avoir une vision parfaitement claire à ce sujet, je crois qu’après avoir passé maintenant près de 25 ans dans le milieu scolaire, dont 15 à la direction d’écoles (primaires, secondaires, classes ordinaires, classes spécialisées, publiques, privées), je crois être en mesure de tracer un portrait assez juste de la situation.  À tout le moins, je ressentais le besoin d’exprimer mon point de vue sur la question, de remettre les pendules à l’heure.

 

Entendons-nous d’abord sur la définition d’un élève ayant des difficultés au plan scolaire par opposition à un élève handicapé ou en difficulté d’apprentissage/d’adaptation (un EHDAA dans le jargon).  L’un et l’autre peuvent être très différents.  En effet, un EHDAA a, dans la grande majorité des cas, des difficultés scolaires tandis que l’inverse n’est pas automatique.  Ce n’est pas parce qu’un élève vit des difficultés scolaires qu’il est un HDAA pour autant.  Par exemple, un enfant dyslexique peut ne pas cadrer avec la définition formulée par le ministère relativement aux EHDAA; tout dépend de l’impact sur son fonctionnement en salle de classe et son niveau de réussite/de retard scolaire.  De même, sans trouble associé, il est rare de parler d’un élève atteint d’un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) comme d’un EHDAA.  Cependant, dans les deux derniers exemples, les élèves en cause peuvent certainement être à risque, voire même vivre de réelles difficultés scolaires.  Même à l’école privée!

EHDAA

Ce n’est pas parce qu’un élève vit des difficultés scolaires qu’il est un HDAA pour autant.  Cependant, les élèves en cause peuvent certainement être à risque, voire même vivre de réelles difficultés scolaires.  Même à l’école privée!

Présence d’intervenants et de professionnels au privé

Qu’on le veuille ou non, les avancées récentes au niveau scientifique ont permis un plus grand nombre de diagnostics et, de ce fait, une meilleure connaissance clinique de plusieurs troubles neurologiques (je reviens à mes deux exemples précédents…).  Parallèlement, il s’est produit la même chose en éducation.  C’est-à-dire que les enseignants, intervenants et professionnels ont dû s’ajuster à cette réalité en modifiant leurs approches, leurs techniques, leurs attentes et leurs exigences.  Les écoles publiques ont alors modifié leurs plans d’effectifs afin d’ajouter des services spécialisés (souvent à la hauteur des ressources humaines disponibles) et même le ministère a, au début des années 2000, introduit les concepts de plancher de service en orthopédagogie (au primaire) et d’enseignant ressource (au secondaire).  De leur côté, les écoles privées (et je ne parle pas ici des milieux spécialisés) ont emboîté le pas.  C’est ainsi qu’on a vu, au sein de ces écoles, apparaître des orthopédagogues, des orthophonistes, des techniciens en éducation spécialisée, des psychoéducateurs et autres ressources venant en aide aux élèves.  Même dans les collèges les plus réputés où on penserait (trop souvent à tort) que tous les élèves ont, avec une facilité déconcertante, des résultats supérieurs à la moyenne!  Récemment, le ministère a d’ailleurs mis de l’avant une enveloppe spécialement destinée aux projets pédagogiques particuliers (la mesure 30120) élaborés par des écoles privées (lire ici pour les élèves ayant des besoins particuliers).  C’est donc dire, au-delà de ce que pourrait en penser un acteur de l’interne comme moi et de la présence confirmée de personnel embauché pour de l’aide directe, que le ministère reconnait l’existence des élèves en difficulté dans le réseau privé.  Il souhaite même, à l’heure actuelle, que ces écoles en accueillent davantage.

Des pommes et des oranges

Cela dit, au chapitre des élèves ayant des besoins particuliers, je ne crois pas qu’on puisse comparer l’école publique et l’école privée.  C’est comme comparer des pommes avec des oranges.  Je l’écrivais ainsi dans ma discussion en 140 caractères, car je considère que les bases de comparaisons ne sont pas valables.  Rassurez-vous!  Il n’y a aucun jugement de valeur ou d’idée négative à l’endroit de l’un et l’autre des systèmes éducatifs dans cette affirmation.  Il n’y a que l’expression de différences flagrantes…

En effet, prenons seulement la question du financement.  Aucune somme n’est allouée spécifiquement aux EHDAA ou aux élèves à risque dans le financement des écoles privées régulières (contrairement aux milieux spécialisés de ce réseau).  Aucun élève, même pouvant être reconnu handicapé selon les critères stricts du ministère, n’est financé comme à l’école publique.  Aucun montant n’est prévu dans l’allocation de base et aucune autre mesure, à l’exception de celle décrite plus haut, n’est offerte pour la mise en place de services particuliers directs.  Toute une différence!  On fait donc avec ce qu’on a et ce qu’on peut demander en vertu de l’article 93 de la Loi sur l’enseignement privé (mais ça, c’est un autre débat…).  Normal que le nombre de ces élèves inscrits à l’école privée n’ait aucune commune mesure avec celui calculé à travers le réseau public.

Évidemment, la différence dans ces sommes engendre un écart notable en ce qui a trait au personnel en place.  L’école primaire de près de 500 élèves que je dirige a la chance de compter une orthopédagogue à temps plein parmi son personnel ainsi que sur plusieurs heures d’orthophonie par semaine (merci au ministère pour l’octroi de la mesure 30120!).  Pas de technicien en éducation spécialisée et pas d’heures en psychologie, en psychoéducation ou pour tout autre professionnel de l’éducation.  Et pourtant!  Aucune sélection basée sur la performance ou critères semblables n’est faite à l’école que je dirige (contrairement à la croyance populaire, c’est possible et c’est le cas de plusieurs écoles privées!).  Nous accueillons des enfants qui ont souvent les mêmes besoins que ceux de l’école d’à côté.  Les enseignants et l’équipe de direction, de concert avec des parents ouverts et collaborants, font souvent de petits miracles afin de les maintenir dans notre milieu…  Sans être une exception dans le réseau, on parle tout de même de plus de 60 plans d’intervention pour une école de 500 élèves.  Même dans les classes de nos programmes!  Et on s’étonne encore des différences de nombres entre le public et le privé?

Une ouverture à en faire davantage pour la cause

La preuve est faite.  Qu’on les appelle à risque, à défis ou différents, il y a des élèves ayant des besoins particuliers à l’école privée.  Que l’on cesse donc de perpétuer les mythes entourant cette clientèle et sa place dans le réseau privé.  Maintenant, pourrait-on faire mieux ou faire plus?  Absolument!  Je ne dis pas pour autant qu’on devrait retrouver des classes spécialisées dans chaque école privée.  Je crois qu’il existe de réelles économies d’échelle à regrouper certaines clientèles HDAA, mais aussi l’expertise nécessaire pour bien les desservir.  Cela dit, je suis convaincu que l’école privée pourrait certainement faire sa (large) part si on lui en donnait les moyens.  Espérons seulement que la mesure 30120 portera rapidement ses fruits afin d’inciter le ministre à bonifier ce budget et, ainsi, ouvrir d’autres portes pour les projets pédagogiques particuliers pour le privé.  Parce qu’au final, l’idée dans tout ça n’est pas de savoir combien de ces élèves seront accueillis dans tel ou tel réseau, mais bien de savoir combien d’élèves auront été soutenus par des équipes mobilisées et adéquatement outillées afin qu’ils puissent démontrer tout leur potentiel.

D’ailleurs, en terminant, laissez-moi vous raconter une petite anecdote sur le sujet.  Ça remonte à l’été dernier, alors que j’accueillais une nouvelle élève qui venait de recevoir un diagnostic de dyslexie/dysorthographie.  Puisqu’une des recommandations du rapport de l’orthophoniste concernait le recours et l’entraînement aux aides technologiques en situation d’écriture, on démarrait alors une demande pour la mesure 30110 (allocation servant à des besoins particuliers – équipement informatique et périphériques adaptés).  Suivie assidûment tout l’automne par une orthopédagogue et revue sporadiquement par l’orthophoniste, elle était, dès janvier, prête à utiliser son portable muni de son logiciel d’aide à l’écriture.  Ainsi, pour la dictée de la direction de février (deux fois par année, des membres de l’équipe de direction se rendent dans les classes afin de donner une dictée à l’ensemble des élèves, suivie par une remise de certificats – moyenne du niveau et meilleure(s) note(s) du groupe), elle était autonome.  À mon retour en classe, après la correction, j’étais tout aussi nerveux que les élèves.  En effet, j’avais vu les notes…  Une fois le certificat de la moyenne du niveau remis, j’ai dû faire une longue pause pour me contenir et ne pas laisser mes émotions prendre le dessus.  J’aurais voulu crier ma joie, mais je me suis contenté de parler de ma fierté pour cette nouvelle élève qui en avait parcouru du chemin jusqu’à notre école (au sens propre et au sens figuré…).  Les autres élèves ne comprenaient pas pendant qu’elle, de son côté, affichait son plus large sourire.  Elle avait tout saisi…  Avant même que je prononce son nom, elle était déjà levée et semblait flotter.  J’ai rarement été fier comme ça de remettre un certificat à un élève.  J’étais fier pour elle, mais j’étais tout aussi fier pour la cause des élèves « différents »… à l’école privée!

Le verre à moitié plein

J’écris ce billet en réaction à l’article paru hier matin sous la plume de Mario Dumont.  Je n’ai alors pu m’empêcher de réagir brièvement sur Twitter, 140 caractères obligent, en mentionnant « C’est vrai, mais il y a aussi de belles histoires… Et celles-là, on les entend rarement. ».  Je m’expliquerai plus bas, mais ce qui m’irrite dans des textes de ce genre c’est la rapidité avec laquelle une ombre peut être portée sur tout un système et ses acteurs, sans égard aux bons coups, même aussi peu nombreux qu’on puisse les imaginer.

Nuançons d’abord un peu

Je laisse volontairement l’aspect politique et la partisanerie de côté pour affirmer qu’il est vrai que ce qu’identifie monsieur Dumont comme des slogans peut sonner faux par moments.  Cela dit, plusieurs écoles ou commissions scolaires ont de pareilles formulations dans leurs énoncés de vision et je suis convaincu que c’est fondé autant que c’est senti.  Quand on décide de travailler en éducation, c’est d’abord pour l’élève.  Les mauvaises langues prétendront que c’est pour les vacances et ceux qui ignorent tout des conditions de travail du milieu de l’éducation diront que c’est pour le salaire.  Absolument pas!  C’est pour l’élève que tant d’enseignants, d’éducateurs, d’orthopédagogues, de secrétaires, de directeurs, de psychologues, de conseillers en orientation et j’en passe, se lèvent chaque matin et travaillent si fort à leur offrir le meilleur.

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Le meilleur avec, parfois, si peu à notre disposition.  Le meilleur qu’on nous permet dans le cadre mis en place et l’autonomie relative qui l’accompagne…  Je vous le dis, il se fait de petits miracles dans notre système d’éducation!  Alors quand, dans son article, monsieur Dumont parle des « plus chanceux qui croiseront sur leur parcours une personne précieuse… qui placera vraiment l’élève au centre de ses priorités », les chanceux sont plus nombreux qu’on le rapporte!

« Ce qui m’irrite dans des textes de ce genre c’est la rapidité avec laquelle une ombre peut être portée sur tout un système et ses acteurs, sans égard aux bons coups, même aussi peu nombreux qu’on puisse les imaginer. »

Par ailleurs, je plains moi aussi les nombreux parents qui cognent à toutes les portes afin d’obtenir des services pour leur enfant qui souffre, parfois depuis longtemps, sur le plan des apprentissages et/ou sur le plan du fonctionnement.  Qu’il s’agisse de la direction de l’école, du député ou même du protecteur de l’élève (à qui on attribue de grandes vertus ces jours-ci…), personne n’a cette capacité de faire apparaître des professionnels, surtout pas avec les budgets consentis par l’État ces années-ci.  J’écris faire apparaître comme si c’était des magiciens, mais c’est parfois ce qu’on attend d’eux : les besoins sont grands et les ressources plutôt restreintes. Ce sont souvent les cas prioritaires qui bénéficient des services disponibles alors que dans d’autres situations on « saupoudre » à l’ensemble de la clientèle.  Mais on voudrait que l’école en fasse toujours plus dans un contexte limité.  Magie!  Néanmoins, je sais qu’il existe des pratiques qui sont mises de l’avant dans différents milieux et qu’elles ont des effets positifs sur tous les élèves, même ceux en attente d’un diagnostic ou de services spécialisés.  Je ne prétends pas ici qu’on doive se fier uniquement sur les initiatives des écoles et, ainsi, mettre une pression supplémentaire sur le personnel en place, mais je ne crois pas non plus qu’on doive demander systématiquement une évaluation professionnelle, un diagnostic et des services spécialisés pour chacun des élèves qui montrent le moindre signe de différence ou de difficulté.  Par exemple, le décloisonnement hebdomadaire des classes d’un niveau avec la participation de l’orthopédagogue devrait permettre à 95% des élèves de trouver leur compte.  N’est-ce pas ce que le modèle RAI nous enseigne?  Par ailleurs, le fait d’équiper systématiquement nos classes de quelques vélos pupitres et de stations de travail vertical, de coquilles antibruit, de ballons suisses, d’horloges Time Timer, de patins antibruit pour les pupitres et les chaises, … est un autre exemple qui pourrait certainement permettre d’accommoder une grande majorité d’élèves, diagnostiqués TDA/H, ou non.  Ces deux exemples existent réellement.  Pas que dans deux ou trois écoles au Québec!  Pas que dans les écoles privées!  Et je ne parle même pas ici du controversé libre recours, pour tous les élèves, aux différents outils technologiques en situation d’écriture…  Je ne veux surtout pas, par ces quelques exemples, minimiser l’importance de l’évaluation par un professionnel dans certains cas ou la plus-value des services qu’ils peuvent offrir aux élèves ayant des besoins.  Je ne veux pas non plus réduire à sa plus simple expression l’aide à apporter à ces derniers ou banaliser la gestion des difficultés vécues dans la salle de classe.  Je souhaite tout simplement mettre en relief qu’il y a actuellement, malgré ce contexte d’austérité, plusieurs mesures préventives qui sont mises de l’avant par des enseignants ou des équipes-école et qui rejoignent une grande proportion d’élèves.  C’est souvent lorsque les adaptations à mettre en place deviennent plus spécifiques que la situation se complique pour un enseignant dans le rôle qu’il joue face à un élève.  De la même façon, il y a une limite à l’aide qu’il peut apporter à ce même élève pour combler le vide de services.

Une piste de solution

Je pourrais parler ici de l’urgence d’injecter des fonds supplémentaires dans le système, d’accorder une plus grande autonomie dans l’administration de ces sommes pour l’organisation des services par les écoles, d’exiger l’admission d’EHDAA au secteur privé en octroyant un financement adéquat, mais j’énoncerais des idées maintes fois avancées par des acteurs du système d’éducation, même certains spectateurs…  Ce n’est pas que je n’y crois plus.  Au contraire!  Mais j’adhère davantage à une solution qui relève du travail d’équipe.  Pourquoi ne pas permettre le recours aux professionnels des bureaux privés en plus de ceux de nos organisations?  Pourquoi ne pas former différemment les enseignants?

Pourquoi?  Parce qu’un élève présentant un trouble modéré du langage, même dûment diagnostiqué par un orthophoniste, ne pourra obtenir un code difficulté (l’atteinte doit être sévère au plan expressif ET de modérée à sévère au plan réceptif) et, par conséquent, le financement nécessaire pour la mise en place de services spécialisés.  Est-ce à dire qu’il n’a pas besoin de rééducation au plan langagier?  Aucunement.  C’est précisément là, sans l’obligation d’un code de difficulté pour bénéficier d’un certain financement à gérer de façon autonome par l’école, qu’on pourrait penser, si le professionnel n’est pas disponible en scolaire, à recourir aux services du privé.  Est-ce à dire qu’il n’est pas à risque de présenter des difficultés d’apprentissage?  Aucunement.  Probablement que l’orthopédagogue sera interpellé, mais c’est tout de même avec ses enseignants que cet élève passera la grande majorité de son temps à l’école.  Des enseignants qui ont seulement très peu de notions (ou même aucune pour d’autres) sur les difficultés ou troubles spécifiques.  Pourtant, Hattie énonce clairement que la compréhension des difficultés d’apprentissage (Interventions for learning disable) est un des résultats les plus probants (d = 0,77) de sa méta-analyse.  Ainsi, en prévoyant quelques cours obligatoires en adaptation scolaire dès le baccalauréat, puis un certain nombre à suivre en formation continue par la suite, on pourrait croire que la pratique des enseignants ne s’en trouverait qu’améliorée et leurs méthodes encore mieux adaptées aux élèves présentant des difficultés.

Vous aurez donc saisi que je ne suis pas tout à fait d’accord avec monsieur Dumont quand il prétend que « le Québec réserve un sort lamentable à ses enfants en difficulté ».  Est-ce qu’on peut faire mieux?  Absolument!  Cependant, là où je le rejoins dans mon propos c’est que, pour y arriver, on devra faire bouger les choses.  Parce que quand on parle d’éliminer la notion de code de difficulté pour avoir accès au financement, d’accorder à l’école une plus grande autonomie dans sa gestion budgétaire, de recourir à des professionnels en pratique privée et de les rémunérer pour des services offerts à nos élèves, d’ajuster le curriculum universitaire ou d’exiger une certaine formation continue on fait clairement référence à des changements majeurs dans notre système.  En attendant, je reste optimiste et confiant face à la Politique sur la réussite éducative du ministre Proulx.  Peut-être parce que, comme plusieurs de mes collègues du monde de l’éducation, j’ai souvent tendance à voir le verre à moitié plein…