La Relation, avec un grand R

En cette semaine de reconnaissance du travail des enseignants, je reviens à l’écriture d’un billet (après un long silence dû à une fin de session universitaire et un changement au niveau professionnel) pour saluer le travail qu’ils accomplissent quotidiennement auprès des jeunes qu’on leur confie et insister sur le concept central de mon blogue, l’effet enseignant.

Être enseignant, c’est se passionner pour un sujet, une matière ou une discipline comme on dit dans le jargon éducatif.  Être enseignant, c’est entrer en relation avec un élève, des élèves ou tout un groupe pour, ultimement, leur transmettre notre passion.  J’utilise, intentionnellement, l’adverbe ultimement pour décrire l’acte d’enseigner, mais tout en étant parfaitement conscient qu’il s’agit là, pour une foule de bonnes raisons, d’un idéal souvent difficile à atteindre.  Cela dit, la relation avec l’élève demeure à la base du geste d’enseigner et une des clés, sinon la pierre angulaire, de la réussite scolaire.  Ça, ce n’est pas moi qui le dis, mais bien plusieurs chercheurs réputés et reconnus dans la communauté éducative, notamment le chercheur néo-zélandais John Hattie à travers les conclusions de ses recherches sur des centaines de méta-analyses et son classement des nombreux facteurs influençant la réussite publié à partir de l’année 2009.  En effet, la relation de confiance qui s’installe entre l’enseignant et l’élève, même si la taille (« d ») de son effet varie au cours des différentes recherches publiées par Hattie, fait partie de ces facteurs qui influencent fortement la réussite d’un élève.

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Dans le même esprit, Hunter Gehlbach, professeur associé à la Harvard Graduate School of Education, a mené une recherche à travers laquelle la nature des relations entre plus de 300 élèves de 9e année (l’équivalent de la 3e secondaire au Québec) et 25 de leurs enseignants a été étudiée en parallèle avec les résultats de ces mêmes élèves.  Ayant tous, préalablement répondus à un sondage qui visait à connaître leurs intérêts et leurs opinions sur différents sujets, les élèves et les enseignants ont été répartis dans quatre groupes dans lesquels les participants n’ont pas tous reçu les mêmes informations :

  • Dans le groupe contrôle, ni les élèves ni les enseignants n’ont reçu de rétroaction sur les similarités les unissant.
  • Les élèves ont reçu une liste de 5 éléments qu’ils avaient en commun avec leur enseignant; les enseignants n’ont reçu aucune rétroaction sur leurs points communs.
  • Les élèves n’ont reçu aucune rétroaction sur ce qu’ils partageaient avec leur enseignant; les enseignants ont reçu une liste de 5 éléments les unissant à leurs élèves.
  • À la fois les élèves et enseignants ont reçu une liste de 5 éléments qu’ils avaient en commun les uns avec les autres.

Parmi les résultats de cette recherche, deux d’entre eux ont retenu mon attention au niveau de l’effet enseignant.  Tout d’abord, il est ressorti que lorsque les enseignants savaient que des éléments communs les unissaient à leurs élèves, ils évaluaient leur relation comme étant plus positive.  J’en conclus qu’il est important de s’intéresser à nos élèves pour chercher des similarités, voire trouver des points communs.  Puis, il a été noté que, lorsque les enseignants avaient reçu des rapports au sujet des points communs avec un groupe d’élèves sélectionné au hasard, ces derniers obtenaient de meilleurs résultats aux évaluations en classe.  Même si Gehlbach nous met en garde de tirer une conclusion à partir de cette seule recherche, elle souligne tout de même, à mon avis, la puissance de l’effet enseignant pour non seulement améliorer la qualité des relations prof-élève dans les écoles secondaires, mais aussi les résultats et la persévérance de nos élèves.

Sans porter seuls tout le poids de la réussite scolaire, ne minimisons donc pas la portée de l’effet enseignant et développons des stratégies pour créer des relations positives avec les élèves.  Encore une fois, nous avons la preuve, tant pour un enseignant d’une école primaire que celui d’une école secondaire, que la relation précède le contenu, la matière.  Comme le dit si bien Jacques Cool « Tu n’enseignes pas ce que tu sais, tu enseignes qui tu es. ».  Bonne semaine aux enseignantes et aux enseignants!

La mue d’un directeur d’école

Comme un reptile, je suis dans une période de mue.  Non, je ne vous parlerai pas ici de problèmes dermatologiques personnels, mais bien d’une « mue professionnelle ».  Une mue qui m’a récemment amené à annoncer mon départ de l’école que je dirige depuis presque dix ans et pour laquelle ma « peau professionnelle » était adaptée, ajustée, voire confortable.  Cela dit, à l’instar d’un reptile qui grandit et vit des périodes de mues tout au long de sa vie, j’étais rendu à cette étape.

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L’analogie avec la mue des reptiles peut vous paraître surprenante, mais j’aime à penser que nous évoluons ou que nous « grandissons », nous aussi, toute notre vie professionnelle.  En tout cas, c’est ma situation; je ne suis plus le directeur que j’étais à ma première affectation, il y a près de 20 ans.  En effet, mis à part mes premiers changements d’école comme enseignant, j’en suis à ma septième « mue » comme directeur et chacune d’elles était nécessaire dans mon cheminement professionnel.  Chaque rencontre, chaque mandat, chaque projet ou chaque décision ont toujours été déterminants et ont servi à me façonner en plus de me faire grandir en tant que cadre scolaire.  Je ne crois pas que l’on naisse avec la pleine mesure de toutes nos compétences.  Au-delà des connaissances qu’on acquiert par différents moyens, je pense plutôt que ce sont nos diverses expériences qui nous forment et qui nous font cheminer, tant comme personnes que comme professionnels.  D’où les mues nécessaires et hautement enrichissantes…  Et ce, même si elles sont parfois surprenantes aux yeux de certains.

« Une seule chose est constante, permanente, c’est le changement »  Héraclite

En fonction de l’espèce, la mue nécessitera plus ou moins de temps.  Pour un reptile, changer de peau est un acte assez rapide en soi.  Néanmoins, il existe toute une préparation à la mue qui dépend de différents facteurs, dont certains qui se rapportent à son environnement, mais aussi son âge.  Encore là, j’y vois différentes similitudes avec ma situation alors que quitter un milieu après pratiquement une décennie est absolument déchirant, même si c’est ma décision.  Les liens tissés au fil des années, les routines établies, la complicité avec certains, la crédibilité acquise, … bref un niveau de confort et une certaine facilité ont retardé ma « mue ».  Toutefois, l’appel du changement et l’intérêt pour un défi au début de la cinquantaine ont, une fois de plus, été plus forts que l’inertie du statu quo.  C’est pratiquement instinctif pour moi; j’ai besoin de me lancer dans le vide, de tester mes capacités et mes limites, d’aller au bout de mes possibilités.  Comme le caractère inné de la mue pour un reptile, même si ce processus naturel le rend vulnérable pendant un certain temps.

J’ai hésité avant d’utiliser l’analogie de la mue d’un reptile, mais je considère que l’image qu’elle révèle correspond bien à ce que j’ai vécu depuis l’annonce de mon départ et ce que je m’apprête à vivre dans un nouveau milieu.  J’ai adoré mes dernières années; j’ai rencontré des gens extraordinaires et j’ai développé une foule de compétences qui m’ont permis d’accomplir de grandes choses.  Autant j’en garderai d’excellents souvenirs, autant je regarde maintenant en avant avec excitation après cette « mue professionnelle » qui, malgré son caractère énergivore sur le plan personnel, me permettra un nouveau départ professionnel.  Pour reprendre un vieux proverbe, pas de changement, pas d’agrément!

Voir au-delà de la crise

La date du jeudi 12 mars 2020 est incontestablement, pour moi autant que pour plusieurs de mes collègues, une journée qui restera longtemps dans notre mémoire.  C’est au cours de cette journée que le cours des événements s’est bousculé, que tout a basculé.  Le coronavirus était, me semblait-il, loin de nous.  On voyait des images et on entendait les nouvelles en provenance de l’Asie ou de l’Europe.  Dans ma tête, comme l’Ebola ou d’autres virus, ça ne pouvait se rendre jusqu’en Amérique, au Canada, au Québec ou encore moins toucher mon École.  Comme directeur d’établissement scolaire, j’avais vécu la préparation de la grippe H1N1 sans jamais avoir à mettre le plan d’urgence à exécution.  Dans ma tête, il en était de même avec la COVID-19.  Aujourd’hui, 2 ans plus tard jour pour jour, je réalise à quel point nous n’avions aucune idée de la portée de cette pandémie qui nous a tous affectés et comment elle allait nous mobiliser, à différents égards.

Je me revois, enfermé dans mon bureau tout l’après-midi du 12 mars 2020 avec mon équipe de direction, à tenter de trouver comment écouter, en direct, le point de presse du gouvernement.  Inutile de préciser que, pour les nombreux points de presse quotidiens du premier ministre qui ont suivi, le site Web de l’Assemblée nationale s’est rapidement retrouvé dans les favoris de mon navigateur.  Puis, ce même après-midi, à tenter d’imaginer la suite des choses avec mes collègues et prendre les décisions qui s’imposaient cette journée-là.  C’est ainsi que la fermeture de l’École, un peu à la manière de celle faite lors d’une tempête de neige, avait alors été décrétée pour le lendemain.  Pour que la Ligue nationale de hockey décide d’annuler les matchs au programme ce soir-là, il fallait que ça soit toute une tempête!  Entre le ton de mon courriel de consignes générales acheminé au personnel le matin du 12 mars à 9h30 (il était alors question de la rupture des stocks de lingettes désinfectantes, imaginez!) et celui, à 16h10, où je leur annonçais qu’un cas était suspecté parmi les élèves et que l’École était fermée le lendemain pour évaluation de la situation, il y avait une légère différence.  Puis, au-delà des annonces au personnel et aux parents pour le lendemain, je me questionnais sur la suite des choses…  On sentait bien que le contexte était grave et qu’il allait se passer quelque chose d’important.  Partout dans le monde, tout allait très vite et je commençais à comprendre que le Québec n’y échapperait pas.  Bien que la fermeture du vendredi (vendredi 13!) était déclarée et que les enseignants avaient reçu la consigne de profiter de cette journée pour imaginer une continuité pédagogique à distance, ce concept restait, je l’avoue, assez flou dans ma tête.  La question pédagogique occupait donc une grande place dans ma réflexion, mais, comme directeur général d’une école privée, l’aspect des ressources humaines et celui lié aux finances m’inquiétaient tout autant.  J’avais alors fait un rapide calcul pour déterminer les pertes si toute forme d’enseignement était cessée et que, du même coup, on ne pouvait réclamer le paiement des droits de scolarité.  Le résultat était frappant et ça ne s’avérait pas une option.  Ainsi se terminait ma première journée de cette crise qui, on ne le savait pas encore, ne faisait que commencer…

Le lendemain, malgré la fermeture de l’École décrétée, le technicien informatique, mon équipe de direction et moi étions au poste pour tenter de résoudre la question de la continuité pédagogique à distance.  Celle qui, sans le savoir encore, allait nous permettre de poursuivre notre mission auprès des élèves inscrits cette année-là jusqu’au mois de juin (et même éviter les bris de service jusqu’à ce jour lors des autres fermetures décrétées).  C’est ainsi, à partir du contact d’une de mes directrices, des explications d’une de nos enseignantes et des informations colligées par le technicien informatique que débutait l’analyse de différentes plateformes de visioconférence.  Le pari fait ce matin-là allait s’avérer gagnant puisque le ministre de l’Éducation annonçait, lors du point de presse du même jour, la fermeture des écoles pour les deux prochaines (ses fameuses deux semaines de vacances!).  On connait tous la suite pour la grande région métropolitaine…  De notre côté, une semaine plus tard, notre choix quant à la plateforme de visioconférence était fait et une vidéo explicative était réalisée par le technicien pour présenter son fonctionnement ainsi que différentes fonctionnalités à l’équipe enseignante.  Le reste de cette journée (et de nombreuses autres jusqu’en juin 2020, ou même pour les 2 années scolaires qui suivirent!) allait ensuite être consacré à lire les informations relayées par la Fédération (la FÉEP) et le Ministère, analyser le tout en équipe de direction et rédiger différentes communications.  Dans toutes mes 20 années à la direction d’écoles, je n’ai jamais autant écrit de courriels au personnel ou rédigé de communiqués aux parents.  Jour, soir fin de semaine, il n’y avait pas de meilleur moment ou d’heure idéale; il n’y avait que l’urgence qui me servait de guide.  Souvent pour annoncer ou préciser différentes informations annoncées par le premier ministre ou le ministre de l’Éducation, mais parfois aussi pour corriger ce qui avait été annoncé précédemment puisque les plans venaient de changer, parce qu’« on construisait l’avion en plein vol » comme le disait souvent le premier ministre.  Rares sont ceux qui avaient déjà imaginé qu’un jour la société serait paralysée à ce point et que les écoles resteraient fermées pour une aussi longue période.  En tout cas, certainement pas moi.  De la même façon, je n’avais jamais imaginé, en devenant directeur d’école, que je serais forcé à procéder à des mises à pied temporaires.  Jusqu’au 12 mars 2020, l’éducation était, à mes yeux, un domaine qui demeurait à l’abri d’une foule de circonstances qui étaient l’apanage des autres secteurs du monde du travail.

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Je pourrais continuer encore longtemps à raconter, jour après jour à la manière d’un journal intime, la crise pandémique que j’ai vécue comme directeur général d’une école privée, mais ça n’apporterait rien de bien différent que ce que plusieurs autres personnes ont vécu, de leur côté.  Enseignants, infirmières, restaurateurs, artistes, entrepreneurs, …  Tout le monde y a goûté depuis deux ans!  Chacun peut, à sa façon et selon sa réalité, souligner la lourdeur et la complexité de la situation, le surplus de travail engendré, les nombreux côtés négatifs des fermetures ou des contraintes sanitaires vécues et j’en passe.

Par contre, ce que je souhaite mettre en lumière avec ce billet et ce qui, à mon avis, est important de souligner en cette journée d’anniversaire, ce sont davantage les notions de collaboration, d’entraide et de créativité qui ont été mises en exergue tout au long de cette crise.  Exactement comme le souligne le proverbe africain « Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin », l’intelligence collective a été déterminante, voire cruciale, tout au long de la pandémie. 

À ce titre, je me considère privilégié d’avoir pu compter sur trois directrices avec qui j’ai pu partager la gestion des différents aspects de la crise.  Hormis ce travail d’équipe réalisé sans compter notre temps ainsi que la complémentarité de nos forces respectives, les résultats n’auraient certainement pas été les mêmes; ni pour les élèves, ni pour le personnel, ni pour l’École.  Je leur suis grandement reconnaissant, entre autres raisons, pour la créativité (que je n’ai pas toujours) dont elles ont fait preuve à maintes reprises en pensant en dehors de la boîte.  Même si nous étions déjà des complices professionnels, la COVID nous a rapprochés.  Dans le même ordre d’idées, la compréhension et l’appui démontrés par les membres du conseil d’administration sont d’autres beaux exemples de collaboration.  Une cellule de crise virtuelle a rapidement été mise en place pour assurer la gouvernance dans un contexte jamais vu et pour lequel il y avait souvent plus de questions que de réponses.  La confiance des administrateurs, tout comme celle de la très grande majorité des parents de nos élèves je dirais, s’est fait sentir dès le début et m’a permis une légitimité dans chacune des décisions difficiles.  J’ai également une pensée pour la collaboration avec mes collègues directeurs du réseau de l’éducation, particulièrement ceux et celles des écoles situées à proximité avec qui j’ai développé des liens qui durent toujours.  La COVID a fait tomber certaines barrières, notamment celle de la compétition pour faire naître l’entraide.  Et que dire de la collaboration de tous les instants avec la FÉEP?  Sans le partage d’information, quotidien par moments (entre autres avec la Note d’information | COVID-19 publiée au cours du printemps 2020), des différents responsables de dossier, la gestion de plusieurs aspects de mon établissement n’aurait pas été la même.  Finalement, quand je repense au travail des enseignants au cours des derniers mois, particulièrement lors du printemps 2020 alors que la poursuite des apprentissages se réalisait uniquement à distance, les mots souplesse et créativité résonnent dans ma tête.  Bien sûr, il y a eu des exemples éloquents en matière d’entraide et de collaboration entre collègues, mais chacun des enseignants a aussi dû puiser dans ses ressources les plus profondes en matière de souplesse et de créativité pour s’adapter à la situation qui prévalait.

Encore mieux!  Nombre des apprentissages mentionnés précédemment qui ont été réalisés en urgence pendant la COVID font toujours partie de nos pratiques professionnelles, encore en présentiel.  Certains ont même été bonifiés depuis.  Comment vous dire…  Même dans les périodes les plus creuses, les moments les plus difficiles, il y a toujours du positif.  Alors que c’était difficile à croire le 12 mars 2020, la preuve est maintenant faite.

COVID – Portrait d’une réalité scolaire

Nous traversons une période sans précédent et sommes tous affectés, d’une manière ou une autre, par la crise de la COVID.  Certains plus que d’autres et mon but n’est aucunement de faire une comparaison.  À l’heure des différents bilans de fin d’année, je souhaite simplement relater une réalité.  La réalité du monde scolaire.  La réalité des directions d’établissements.

Je ne remonterai pas jusqu’au 12 mars 2020, journée où tout a basculé, mais c’est depuis cette date qu’une spirale nous entraîne, nous et nos équipes.  Je les salue d’ailleurs au passage et les félicite pour l’incroyable capacité d’adaptation ainsi que la résilience dont elles ont fait preuve.  Je n’évoquerai pas tous les plans qu’on a élaborés, défaits et recommencés pour répondre aux exigences des différents contextes du début de la pandémie (souvenons-nous simplement du retour qui ne s’est jamais produit dans la grande région de Montréal en mai 2020 ou de l’idée des camps pédagogiques dans les semaines qui ont suivi).  Je ne ressasserai pas non plus les souvenirs du plan d’urgence imaginé pour la rentrée de l’année scolaire 2020-21 avec tous les réaménagements nécessaires (le guide de la rentrée publié aux parents de mon École à ce moment-là avait 20 pages!) et ceux du fameux concept des bulles-classes.  Comment les oublier?  Le port du masque dans les aires communes puis dans les classes, les trois étapes d’évaluation réduites à deux en cours de route, la subite bascule à distance avant et après le congé des Fêtes puis combien d’autres ajustements demandés au cours de la dernière année scolaire…  Je n’ai pas besoin de revenir sur tous ces éléments qui se sont ajoutés à notre quotidien ou qui sont venus nous bousculer, mes collègues directeurs et moi.  Non.  Je n’ai qu’à relater la réalité des 5 derniers mois du calendrier scolaire pour illustrer la portée de mon propos.

Au-delà du fait que la rentrée s’est déroulée dans un optimisme relatif avec, entre autres, la reprise des activités parascolaires puis que la vaccination nous laissait voir une certaine lueur au bout du tunnel, la COVID et sa réalité nous ont rapidement rattrapés.

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« J’ai toujours adoré mon emploi et la dose d’imprévus ou d’adrénaline quotidienne qu’elle me procure.  Peu importe ce qui se présente, je priorise et je gère.  Puis, avec l’expérience des 20 dernières années et une bonne dose d’organisation, je finis toujours par me rattraper à la fin de la journée ou encore le weekend.  Je n’ai jamais compté mes heures, mais je crois tout de même, au cours de toutes ces années, avoir réussi à conserver un certain équilibre de vie.  Là, depuis la dernière rentrée, c’est différent.  Il n’y a comme plus assez d’heures dans une semaine pour arriver à tout gérer, à garder l’équilibre. Le sentiment de compétence ou d’efficacité personnelle en prend pour son rhume!»

Même s’il m’est difficile de bien décrire et faire ressentir toute la lourdeur des multiples communications quotidiennes, des nombreuses démarches et de toutes tâches qui découlent des différents aspects reliés à la pandémie, je peux assurément affirmer que c’est la gestion des cas affectant les écoles depuis la rentrée qui demeure le principal enjeu pour les directions d’établissements (particulièrement au primaire). Ainsi, même si le MÉQ, la CNESST et notre Direction régionale de Santé publique nous ont transmis à tour de rôle et encore trop tard (en pleine rentrée du personnel ou même des élèves dans certains cas!) les dizaines de pages à lire pour finaliser les préparatifs de notre début d’année, même si les consignes changent fréquemment et que certaines informations sont parfois divergentes, même si l’annonce du déploiement des tests rapides au primaire a suscité son lot d’inquiétudes et de détails logistiques à gérer auprès du personnel impliqué et des parents et même si le dossier des lecteurs de CO2 avance à pas de tortue, c’est définitivement la gestion des cas de COVID qui rend nos journées, déjà bien remplies avec nos tâches et fonctions habituelles, si difficiles par moments. Juste pour vous donner une idée, j’ai, à ce jour, plus de trois fois plus de situations déclarées depuis la rentrée que dans toute l’année scolaire précédente. Par ailleurs, avec la reprise des activités parascolaires et l’éclatement des bulles, chaque cas déclaré cette année nécessite minimalement un ou deux appel(s) téléphonique(s) ainsi que l’envoi de cinq à six courriels. Comme chaque situation est souvent unique, c’est une démarche qui demande entre 90 et 120 minutes à chaque fois selon la complexité et les différents contacts du cas. Sans compter le retour de l’enquêteur de la Santé publique ainsi que les courriels ou les appels du personnel et des parents qui ont des questions pour lesquelles j’ai souvent les réponses (c’est le seul avantage d’être à l’an 2 de la pandémie!). Autrement, je relis certains documents, je communique avec un collègue ou bien j’écris à des connaissances à la Santé publique pour avoir l’heure juste et ainsi être en mesure de transmettre la bonne information. Mais tout ça, c’est du temps. Du temps que je n’ai pas pour mon école ou mon premier rôle dans ce milieu. Sans compter la pression liée à la vigie, en continu (jours, soirs, fins de semaine), des déclarations de cas ou celle relative à la transmission d’une information de qualité aux parents ainsi qu’au personnel afin d’assurer la santé et la sécurité de ma communauté. Au plus fort de l’automne, à l’intérieur de trois semaines, ce sont 5 classes qui ont dû être fermées pour « basculer » en enseignement à distance et plus d’une vingtaine d’élèves déclarés positifs à la COVID. Je vous laisse imaginer à quoi pouvaient ressembler mes journées…

Je ne veux surtout pas avoir l’air de me plaindre.  Je le répète, je ne fais aucune comparaison avec d’autres milieux ou la réalité de certaines personnes, dans des secteurs d’activité différents.  D’ailleurs, je lève mon chapeau au personnel du domaine de la santé qui ne comptait déjà plus ses heures avant mars 2020, aux entrepreneurs de PME ou aux restaurateurs et tenanciers de bars qui sont sur la corde raide depuis ce moment.  Pour ne nommer que ceux-là…  Au moment où Omicron nous interpelle, que la vaccination n’est pas optimale au primaire (ou même dans la population en général à ce qu’on peut comprendre de la 3e dose attendue) et que le retour à l’école en janvier génère plus de questions que de réponses, je sentais simplement le besoin de décrire une réalité.  Un portait probablement bien pâle pour une réalité passablement plus complexe.  Ma réalité et celle de tous mes collègues à la direction d’un établissement scolaire.

Les enseignants et la pomme

Allez, faites-le test!  Saisissez les mots enseignants et merci dans la barre de recherche Google.  Puis, sélectionnez les résultats des images et cliquez sur la pastille de la suggestion pour journée mondiale.  Vous verrez, quatre des dix premiers résultats affichent une pomme.  Pourquoi?  Il y a probablement un lien…  J’ai tenté une réponse, en toute simplicité, pour faire un clin d’œil aux enseignants.

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Bien sûr, j’aurais pu écrire quelques lignes en utilisant des expressions renfermant le mot pomme et raconter des histoires au sujet de ma première enseignante alors que j’étais haut comme trois pommes, enchaîner en disant que la pomme ne tombe jamais loin du pommier pour parler de mes succès à l’école et terminer en racontant comment on compare des pommes avec des oranges quand on tente de saisir la réalité du travail des enseignants en faisant des parallèles avec d’autres professions.  Il y aurait eu, avec tout ça, matière à tomber dans les pommes!  Au lieu, laissez-moi vous chanter la pomme, chers enseignants.

En effet, je vois quelques ressemblances avec les pommes.  Il y a tout d’abord le fait qu’on en trouve sur tous les continents.  Pas nécessairement les mêmes variétés ou les mêmes styles pédagogiques, mais une certaine forme d’universalité.  D’ailleurs, comme les cultivars de pommes sont développés pour leurs goûts et les différentes utilisations culinaires, les enseignants se spécialisent selon la clientèle auprès de laquelle ils souhaitent intervenir ou encore la discipline qu’ils affectionnent.  Puis, les deux peuvent facilement briller si on en prend soin et qu’on les place judicieusement dans la lumière.  Qu’il s’agisse des fruits ou des enseignants, certains brillent seuls alors que d’autres donnent un résultat extraordinaire lorsque regroupés.  C’est le cas de la pomme fraîchement cueillie qu’on croque ou de la tarte Tatin savamment exécutée qu’on déguste en étirant chaque bouchée.  Les deux sont délicieuses; ça dépend du moment, du contexte, du but recherché.  Exactement comme en enseignement!

« Chaque pomme est une fleur qui a connu l’amour. »

Félix Leclerc

Finalement, la plus frappante et la plus poétique des comparaisons c’est certainement celle qui ramène les enseignants et les pommes aux fleurs.  En effet, pas de pomme sans d’abord une fleur pollinisée et, comme les fleurs qui dégagent un doux parfum pour ceux qui les entourent, un enseignant a souvent un effet invisible pour les yeux, mais marquant pour la vie de ses élèves.

Si je me fie au dicton qui dit qu’une pomme par jour éloigne le médecin, je ne suis pas prêt d’être malade à vous côtoyer, jour après jour, enseignantes et enseignants.  Je vous remercie pour votre implication de tous les instants, votre travail grandiose et tout ce que vous offrez ou transmettez aux élèves qu’on vous confie.  C’est une grande responsabilité que vous assumez et vous méritez toute mon admiration!

Plus ça change, moins c’est pareil

C’est fait!  Le retour à l’école est derrière nous.  Une autre rentrée scolaire qui amène son lot de changements, de nouveautés, d’adaptations et tant d’autres situations à gérer.  Malgré ce tourbillon annuel, une chose reste constante pour les enseignants : la liste de classe.   La fameuse liste de classe!  Quels élèves me seront confiés?  Aurais-je Untel dans ma classe?  Est-ce que X sera toujours comme mes collègues me l’ont décrit?  J’espère que Y ne sera pas comme son frère que j’ai déjà eu…  Autant de questions ou d’affirmations légitimes, mais dont il faut se méfier.

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La « flèche » de FedEx

Récemment, j’avais la chance et le bonheur d’assister à une conférence de Marius Bourgeois sur le thème « Faiseurs de possible ».  En fait, c’est à la suite de mon initiative que Marius était présent à l’occasion de la rentrée 2021 de mon équipe-école.  Je l’admets, j’avais volontairement planifié le tout pour qu’on prenne conscience, entre autres, de notre capacité à être des leaders face au groupe qui nous est confié et de notre pouvoir d’influence face aux élèves.  Le pouvoir de l’effet enseignant!  Ce fameux concept auquel je crois profondément et qui est, à mon avis, trop souvent sous-estimé.  C’est donc par différents exemples et quelques illustrations fort bien choisies que Marius nous a convaincus qu’il y a quelque chose à découvrir dans chaque élève.  Celle inspirée du logo de l’entreprise FedEx est, à mon avis, la plus éloquente puisqu’elle démontre qu’il y a toujours une « flèche » dans chaque situation, chaque personne, chaque élève.

En effet, à se fier à nos a priori, au premier coup d’œil ou à ce qu’on entend de la majorité, on passe souvent à côté de quelque chose de plus subtil, mais tout aussi important.  La « flèche » dans le logo de FedEx a toujours été là, mais pas toujours visible selon le regard qu’on pose ou le temps qu’on prend pour le regarder.  Il en est de même pour nos collègues, nos amis, nos élèves…  Voyez-vous?

La « flèche », la classe et les élèves

Mais revenons à la liste de classe et appliquons-lui le « principe de la flèche FedEx ».  Quel enseignant peut prétendre connaitre tous ses élèves dès le jour 1 de l’année scolaire?  Il y a, en effet, un énorme danger qui nous guette dans le fait de vouloir caractériser trop rapidement chacun des élèves qui nous sont confiés.  Mettons de côté nos premières impressions, nos idées préconçues ou nos conclusions hâtives.  L’être humain est complexe et les élèves changent.  Une année scolaire ou même un été c’est souvent une éternité dans la vie d’un jeune.  Qu’on pense à l’enfant qui entre à la maternelle et qui a tout à apprendre, à celui du primaire qui, après les 2 mois des vacances estivales, n’est plus l’élève qu’il était en juin ou encore l’ado du secondaire qui vivra assurément au moins une période plus difficile servant à forger son identité, pouvons-nous voir la « flèche » lors de la première journée de classe, la première semaine ou même le premier mois de l’année scolaire?  Y a-t-il seulement une flèche qu’on puisse déceler à ce moment?  Le sens commun et la psychopédagogie nous enseignent que nous devons être prudents et réserver nos jugements pour bien comprendre et connaitre un élève.  Le « principe de la flèche FedEx » demande d’avoir un bon éclairage, de la perspective et une certaine profondeur avant d’y arriver.  Et encore!  Même avec les meilleures conditions, il se peut qu’on ne puisse pas la voir à certains moments, pour certains élèves.  En pareil cas, Marius nous suggère de ne pas hésiter à demander de l’aide à un collègue.  Ça réfère au concept de l’équipe-école, à la complémentarité des expériences, des idées et des points de vue; ce qui est « visible » par une personne ne l’est pas nécessairement pour une autre et vice-versa.

Prenons donc le temps, dès les premiers moments de l’année scolaire, de créer un lien de confiance avec chacun de nos élèves.  Ce lien si important et puissant selon Hattie (d = 0,52) pour maximiser les chances de réussite scolaire.  En oubliant les étiquettes (d = 0,61) et les préjugés, donnons-leur la chance de nous démontrer tout leur potentiel en les plaçant des contextes favorables.  Ainsi, peut-être que la « flèche » impossible à voir au jour 1 se révélera graduellement.  Qui sait, elle deviendra peut-être plus grosse que le logo et nous éblouira à chaque coup d’œil…  D’ailleurs, n’est-ce pas là le défi de tous les différents intervenants dans une équipe-école : faire briller, chacun à sa façon, chaque élève?

Un vrai marathon !

Ça y est, on voit le fil d’arrivée! Dire que l’année qui se termine a été à l’image d’un marathon serait un euphémisme, mais je le pense et je l’écris sciemment. Et je sais de quoi je parle, même si mes belles années de course à pied remontent à près de 25 ans. En effet, à l’époque, j’ai cumulé nombre de 10 km, quelques 20 km et un demi-marathon ainsi qu’un marathon complété en 3:49:49. Mon objectif de l’époque pour cette première course de 42,195 km était de la conclure en moins de 4 heures. Mais, en secret, j’osais simplement la terminer sans trop de mal. Tout à fait à l’image de cette année COVID…

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Quiconque travaille en éducation sait pertinemment que le cliché du marathon, fréquemment utilisé afin d’illustrer une année scolaire, n’est pas si loin de la réalité. Il faut d’abord savoir (ou parfois apprendre à nos dépens…) démarrer lentement, sans se laisser emporter par l’adrénaline de la course puis doser nos énergies pour éviter de vider nos réservoirs avant le fil d’arrivée. Il faut aussi, de temps à autre (souvent?), composer avec les éléments : le vent de face, les montées, la pluie, etc. Bref, surmonter les obstacles et maintenir le rythme, notre rythme. Finalement, il faut arriver à traverser le mur. Ce fameux mur, frappé autour du 30e kilomètre, où on a l’impression que nos réserves sont à zéro et que nos jambes sont coupées en plus d’avoir le moral au plus bas. Ce mur qui nous force à ralentir le rythme considérablement, pour parfois le réduire à une marche… et mieux repartir afin de terminer en force. Ainsi, en année de pandémie, tout ce que je viens de décrire a été rencontré, à différents niveaux, de différentes façons et pour différentes raisons. Nous étions alors tous véritablement engagés dans un marathon, cette course mythique du messager grec Phidippidès qui aurait parcouru la distance d’une quarantaine de kilomètres de Marathon à Athènes afin d’annoncer la victoire contre les Perses en 490 avant Jésus-Christ.

Notre marathon a donc débuté avec un Plan de la rentrée connu à la dernière minute et la rédaction d’un plan d’urgence où, dans les deux cas, il était facile de s’emballer pour tenter de tout faire comme avant en plus des nombreuses adaptations rendues nécessaires et des divers protocoles ajoutés pour la sécurité de tous.  Il aura fallu faire des choix, parfois déchirants, afin de mesurer et répartir sagement nos ressources ainsi que nos énergies.  C’était la seule façon de penser pouvoir terminer le parcours qui était devant nous et pour lequel, contrairement aux adeptes de la course à pied, nous n’avions aucun entrainement (je ne compte évidemment pas celui réalisé au printemps 2020 puisque complètement différent – à tout le moins, pour les écoles de la grande région de Montréal).

Des obstacles?  À chaque jour ou chaque semaine à certains moments.  Le plus grand?  L’incertitude, la perte de plusieurs repères, les difficiles adaptations, l’incohérence, les cas et les éclosions amenant des absences (personnel et élèves) sur des périodes plus ou moins longues, la fréquentation partielle des élèves du 2e cycle du secondaire, le prolongement de certaines mesures, …  Toutes ces réponses!  Mais, à la manière d’un mantra, il fallait se répéter les mots interdépendance – créativité – persévérance pour se recentrer sur l’essentiel et garder le rythme tout au long de notre année marathon ou éviter de dévier de notre trajet.

Puis, à l’instar du mur qui frappe après avoir parcouru environ les 7/10 de la distance totale, c’est au retour de la semaine de relâche du mois de mars, avec la montée des variants et l’obligation du port du masque de procédure pour tous les élèves du primaire, tant dans les espaces communs et les déplacements qu’en classe, que nous avons pris la mesure de la contagion du virus. Alors qu’on espérait que tous les efforts réalisés depuis la rentrée, tant individuels que collectifs, allaient nous épargner une 3e vague ou que les mesures allaient éventuellement s’assouplir avec le retour du beau temps printanier, on a frappé notre mur. Dès lors, on comprenait que rien n’était gagné pour la fin de cette course amorcée à la rentrée. Qu’à cela ne tienne, on n’allait pas baisser les bras, ralentir notre cadence, ou pire encore, arrêter. Pas après tant d’efforts et de chemin parcouru! C’est donc avec quelques ajouts aux protocoles déjà en place, de nouvelles routines et une vigilance accrue que nous avons relancé notre marathon en étant persuadés qu’on finirait par traverser le fil d’arrivée et que l’année scolaire se terminerait de belle façon. Comme dans le cas d’un coureur, c’est d’abord dans la tête qu’on traverse le mur… Ensuite, on puise dans nos ressources. Et c’est exactement, dès le mois de mars, ce que tous les acteurs du monde de l’éducation ont fait pour s’assurer de terminer l’année en force.

À tous les « coureurs » du monde de l’éducation, des plus aguerris aux néophytes, ceux qui ont plusieurs courses à leur actif ou ceux qui en étaient à leur première, je dis bravo pour ce marathon hors du commun. Aucune préparation et aucun entraînement n’étaient possibles pour ce qui dure depuis le 12 mars 2020. Vous êtes de grands athlètes et vous méritez toutes et tous, peu importe votre rôle dans votre équipe-école, une médaille pour la grande capacité d’adaptation dont vous avez fait preuve au quotidien ainsi que l’incroyable résilience que vous avez su démontrer tout au cours de la dernière année. Vous pouvez être fiers de ce que vous avez accompli. Le repos estival sera bienvenu, mérité et nécessaire. Il nous permettra, entre autres, de faire le plein d’énergie afin de compléter notre prochain marathon qui, espérons-le, sera plus facile et prévisible que celui de l’année scolaire qui s’achève dans quelques jours. Bonnes vacances!

Merci à nos superhéros de l’éducation !

J’ai l’habitude, depuis la mise en ligne de mon blogue, d’écrire un petit quelque chose pour souligner la semaine des enseignants.  Même si j’aime bien l’acte d’écrire pour rassembler mes idées, m’exprimer sur un sujet ou tout simplement pour le plaisir de la chose, j’avoue que cette année j’aurais eu dix-mille bonnes raisons de passer tout droit.  Parce qu’il m’est difficile de rester muet en pareille circonstance et parce que je dois bien ça à mon équipe qui, en cette année extraordinaire (dans le sens de hors de l’ordinaire…), se surpasse chaque jour – en présentiel ou à distance, voici une autre de mes réflexions sur l’effet enseignant.

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À un moment où les plus simples routines sont chambardées et plusieurs repères n’existent plus, où certains retards pédagogiques se sont accumulés depuis le printemps pour quelques élèves, où on parle d’inquiétude et d’anxiété – tant pour les élèves que le personnel, où l’enseignement peut, à tout moment, basculer en virtuel, où on doit revoir notre planification en plus d’ajuster nos pratiques d’enseignement pour miser sur l’essentiel et j’en passe, une des certitudes en éducation qui me restent (et je l’ai depuis très longtemps, peut-être même avant d’être devenu enseignant) est celle de la puissance de l’effet enseignant.  En fait, je dirais même que, peu importe que l’enseignant soit derrière son masque de procédure ou l’écran, je suis convaincu que c’est en très grande partie sur lui que repose la réussite de ses élèves.  Par réussite j’entends d’abord le fait de cultiver le goût de l’école puis je réfère à tout ce qui concerne la découverte et prise de conscience de talents, de passions ou même d’une voie permettant aux élèves de s’accomplir.  Je ne minimise ou n’oublie pas au passage l’acquisition de connaissances, le développement des compétences et les résultats, mais je crois davantage en l’établissement d’un climat positif et propice aux apprentissages ainsi qu’au développement d’une relation de confiance entre un adulte et ses élèves comme base solide à la réussite scolaire.  Un enseignant qui s’intéresse véritablement à ses élèves et croit démesurément en leur potentiel pourra accomplir de grandes choses avec eux.  Même si la notion de grandeur ici est parfaitement relative à l’échelle d’une classe, l’effet enseignant réfère à cet effet déterminant lié à la personne, à ce qu’elle est et à son savoir-être.  Selon certains auteurs et chercheurs (notamment Gauthier, Bissonnette et Richard, 2013), l’effet enseignant serait si puissant qu’il pourrait surmonter les conditions socioéconomiques des élèves et d’autres facteurs de l’environnement.  La relation maître-élève serait donc un des principaux déterminants de la motivation et de la réussite scolaires.  C’est là non seulement toute une responsabilité à assumer pour un enseignant, mais aussi un sacré défi en temps de COVID !

 » Il y a de cela une quarantaine d’années, on considérait encore que l’enseignant représentait une variable négligeable dans la réussite scolaire des élèves. On attribuait à des facteurs périphériques à l’école, tel le milieu socio-économique, un rôle primordial. Or, à la suite de nombreuses études réalisées depuis, on a maintenant pu mettre en évidence ce qui est désormais appelé l’effet enseignant. « 

Steve Bissonnette, 2015

Je souhaite donc lever mon chapeau, à tous les enseignants que je côtoie, que j’ai connu de près ou de loin et tous les autres qui, jour après jour, d’août à juin à chaque année scolaire, se lèvent avec la ferme intention de changer le monde, un élève à la fois.  L’influence positive que vous tentez d’avoir sur l’apprentissage, le développement et la réussite des élèves qu’on vous confie vous honore.  En effet, vous maintenez, en dépit d’une foule de circonstances, une relation de qualité avec les élèves qu’on vous confie afin qu’ils aient confiance en leurs capacités de réussir.  La bienveillance que vous démontrez quotidiennement à leur égard prend régulièrement la forme de commentaires constructifs.  Malgré les barrières tels le masque, le plexiglas, la distanciation physique et toutes les autres mesures sanitaires imposées, vous êtes créatifs pour entrer en relation avec vos élèves et prenez le temps d’apprendre à les connaître, individuellement.  Au-delà du « feu sacré » ou de la « vocation » qu’on vous attribue souvent, vous êtes des professionnels de l’éducation.  Soucieux du bien-être et de la réussite de vos élèves, vous collaborez non seulement avec vos collègues enseignants, les autres membres de la grande équipe-école, mais aussi les parents.  Finalement, à voir le temps que vous consacrez à votre planification, votre préparation et l’élaboration des différents projets que vous proposez à vos élèves, rien dans votre travail n’est laissé au hasard.  Vous vous efforcez continuellement de créer et de renouveler des activités d’apprentissage signifiantes pour les motiver à se dépasser.

Pour toutes les raisons qui précèdent, je vous dis merci de faire une différence dans le cheminement des élèves que vous croisez sur votre route.  Vous êtes des superhéros de l’éducation et votre pouvoir, l’effet enseignant, est trop souvent sous-estimé.  Ne le niez pas et n’ayez surtout pas peur de l’utiliser judicieusement.  Vous avez le pouvoir de réaliser de grandes choses !

La COVID-19 ou l’exacerbation du savoir improviser

À l’heure des bilans, comme on le fait souvent en fin d’année civile, je repense à tout ce qu’on a vécu depuis le mois de janvier dernier et plus particulièrement à partir du 12 mars.  Ça ne devait durer que deux semaines qu’ils disaient…  Quels bouleversements incroyables dans le quotidien des enseignants !  Quel chambardement au niveau des pratiques éducatives connues depuis fort longtemps !  Qu’il s’agisse de l’enseignement ou de l’évaluation, la plupart des repères ayant servi jusque-là se sont évanouis du jour au lendemain.  Exit la routine, les vieilles habitudes ainsi que les sentiers balisés !  Idem pour les directions d’établissement et combien d’autres membres du personnel de nos écoles.  Le contexte pandémique totalement inconnu, voire même surréel, imposait alors de nouvelles règles qui généraient chacune leur lot de défis et d’incertitudes.  Le travail du monde scolaire, particulièrement celui des enseignants, avait un tout autre visage.

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L’effet enseignant réfère à l’influence, parfois sans trop le savoir ou le réaliser, qu’un enseignant ou un autre membre du personnel d’une école exerce sur l’apprentissage, le développement et la réussite des élèves qu’on lui confie.  Ce travail est loin de se limiter à maîtriser un contenu et à le diffuser tout assurant une saine gestion de la classe.  Non, c’est beaucoup plus que cette vision mécanique de la chose.  Beaucoup plus !

C’est en lisant un court article signé par le professeur Jean-Pierre Pelletier portant sur le savoir improviser que j’ai réalisé combien la capacité à improviser des enseignants ainsi que la créativité étaient au cœur de l’acte professionnel, comment elles influençaient positivement l’effet enseignant.  Combinées l’une à l’autre comme deux ingrédients essentiels d’une recette, elles se sont avérées vitales depuis mars dernier.  En effet, quiconque s’est déjà vu confier un groupe sait combien le climat de classe qu’il instaure, les stratégies éducatives qu’il met en œuvre et les liens qu’il entretient avec les élèves sont déterminants pour « ouvrir la porte de l’apprentissage » chez chacun d’entre eux.  Ce n’est d’ailleurs pas étonnant que 10 des 16 premiers facteurs ayant une très grande influence (« d » ≥ 0,80) selon le classement de Hattie se rapportent directement à l’enseignant, aux méthodes d’enseignement ou encore aux stratégies pédagogiques.

« La gestion de classe, c’est en bonne partie la gestion des imprévus.  Et la profession d’enseignant en est remplie au quotidien !  Qu’ils soient novices ou expérimentés, les enseignants improvisent d’innombrables fois par jour, que ce soit devant un élève en crise de panique, une alarme de feu, une guêpe sur un bureau, une question volontairement embêtante, un bris d’équipement…  Devant ces situations, l’enseignant doit rehausser sa vigilance et sa créativité.  Il passe en « mode improvisationnel », ce qui lui permet de voir la situation autrement et de transformer l’imprévu en potentialité. »

Gérer sa classe en temps de COVID : le savoir improviser au secours des enseignants

Le Soleil, édition numérique, 13 décembre 2020

Ainsi, le défi pas toujours évident à relever en présentiel pour plusieurs enseignants s’est vite complexifié lors du long confinement ou encore avec toutes les mesures sanitaires imposées (à juste titre) lors de la rentrée de septembre.  Comment maintenir une relation personnalisée et positive avec chacun de nos élèves à travers une caméra et un micro ?  Comment déceler les signes d’incompréhension ou d’inattention dans une mosaïque à l’écran ou encore derrière un masque ?  Comment continuer à motiver nos élèves les plus vulnérables alors que plusieurs activités scolaires originales et signifiantes ne peuvent avoir lieu ou qu’une très grande majorité des activités parascolaires sont suspendues?  Autant de questions auxquelles le réseau a été confronté depuis mars dernier et qui risquaient de miner l’effet enseignant.

Rapidement, nous avons su faire autrement.  Le nous réfère d’abord aux enseignants, mais aussi, au sens large, à mes collègues de la direction ainsi qu’au personnel de soutien.  J’emploie volontairement l’expression faire autrement pour me permettre d’insister sur l’immense créativité de certains et la grande capacité à improviser des autres.  Il fallait non seulement faire autrement quelque chose que les enseignants n’avaient jamais imaginé faire, mais il fallait en plus, pour nos élèves, aussi bien le faire qu’en classe.  En formation des maîtres on insiste sur planification adéquate et une préparation rigoureuse, mais les qualités d’improvisateur d’un enseignant se sont avérées tout aussi essentielles.  Je dirais même vitales afin de réagir rapidement désamorcer une situation, saisir une opportunité pour illustrer différemment un concept ou une notion, modifier la planification à la suite à un imprévu, etc.  C’est précisément à partir de là qu’on a vu des gens apprendre à maîtriser les possibilités d’une plateforme de visioconférence en une fin de semaine, planifier des entretiens personnalisés en marge du contenu des journées de continuité pédagogique à distance, enseigner devant la porte d’un lave-vaisselle qui servait de tableau blanc, collaborer étroitement avec les collègues sur différents aspects de la tâche ou encore explorer ensemble de nouveaux outils tant pour l’enseignement que pour la rétroaction à offrir aux élèves.  Sans que ce soit simple ou aisé pour le personnel des écoles (et je parle ici en toute connaissance de cause…), le contexte pandémique nous aura tout de même permis d’améliorer notre capacité à accepter de ne pas être en plein contrôle, à démontrer davantage de souplesse, à être créatifs sous pression ou à rebondir à partir d’une contrainte.  Ces quelques illustrations du faire autrement développé depuis mars dernier démontrent avec éloquence que la créativité, la collaboration et la capacité à improviser sont des compétences qui, bien qu’ayant toujours été utiles au monde de l’éducation, sont maintenant jugées indispensables pour plusieurs.  Rien ne sera plus comme avant…

Les derniers mois auront donc été fort différents et, comme le disait l’aventurier Frédéric Dion, « Les plus grands obstacles à nos réalisations de demain sont nos doutes d’aujourd’hui ».  Pour lui, tout le succès de ses aventures réside dans l’application et le respect des trois lois de la Nature :  l’interdépendance, la créativité et la persévérance.  Ainsi, le 12 mars dernier, nous n’avons eu ni le choix ni le temps de douter.  Nous avons été plongés, bien malgré nous, dans une épreuve hors du commun où l’histoire s’écrivait au fur et à mesure.  Qu’à cela ne tienne, c’est en faisant preuve d’une collaboration extraordinaire, en démontrant toutes nos capacités à improviser habilement tout en étant définitivement résolus à faire autrement que nous y sommes arrivés.  Nous ne sommes certainement pas au bout de nos surprises sur toute ces forces insoupçonnées ainsi que nos atouts professionnels qui pour la plupart, espérons-le, seront maintenus et réinvestis dans les prochains mois, les prochaines années.  La pandémie aura eu au moins ça de bon…

Bonne année 2021 ! Collaboration, improvisation, créativité et résilience à chacune des 52 prochaines semaines !

Des anges gardiens

Le concept s’est installé au printemps dernier et, au plus fort de la crise de la COVID-19, le Québec remerciait ses anges gardiens quotidiennement.  Les téléspectateurs qui assistaient alors à chacun des points de presse attendaient avidement que le premier ministre élise les anges gardiens du jour et leur offre ses remerciements les plus sincères.  On a alors, avec raison, largement parlé des préposés aux bénéficiaires (PAB) et on a, notamment, remercié le personnel des services d’urgence ou celui des épiceries et dépanneurs qui, disait-on, mettaient leur vie en jeu pour maintenir les services d’alimentation.  On a même vu des parades pendant lesquelles les puissants gyrophares scintillaient et les tonitruantes sirènes retentissaient.  On ne ménageait rien pour nos anges gardiens.  C’était au printemps…

Aujourd’hui, 5 octobre, la crise de la COVID-19 se poursuit.  Aujourd’hui, 5 octobre, les écoles du Québec sont ouvertes (bien que plusieurs classes soient fermées et vivent l’enseignement à distance).  Aujourd’hui, partout dans le monde, c’est une journée bien spéciale dans le monde de l’éducation ; c’est la journée mondiale des enseignant(e)s initiée par l’UNESCO en 1994.  Cette année, c’est l’occasion de mettre la profession enseignante à l’honneur dans le monde entier, de faire le point sur les progrès accomplis et de mettre l’accent sur ceux et celles qui sont au centre des efforts déployés en vue d’atteindre la cible mondiale de l’éducation : ne laisser personne de côté.  D’ailleurs, conjointement avec d’autres dirigeants d’organisations dédiées aux enfants et à l’éducation, la directrice générale de l’UNESCO, Audrey Azoulay, a fait cette déclaration :

« Pendant cette crise, les enseignants ont une fois de plus fait preuve de grandes qualités de leadership et d’innovation, veillant à la #continuitépédagogique et à ne laisser aucun élève de côté.  Partout dans le monde, ils ont travaillé individuellement et collectivement pour trouver des solutions et créer de nouveaux environnements d’apprentissage pour leurs élèves, afin d’assurer la poursuite de l’enseignement.  Leurs conseils sur les plans de réouverture des établissements et le soutien qu’ils fournissent aux élèves dans le cadre du retour à l’école est tout aussi important. »

Je souhaite donc, à mon tour, souligner tout le travail qu’ils ont accompli au printemps dernier et qu’ils accomplissent depuis cette rentrée historique.  Leur engagement, leur dévouement et leur professionnalisme ont toujours été reconnus à travers les époques.  De nos jours, c’est encore plus vrai et remarqué de tous.  La rapidité avec laquelle ils se sont retournés pour assurer une continuité pédagogique à distance, la créativité démontrée pour faire autrement, la résilience manifestée devant les obstacles imposés par un nouveau contexte de travail, l’importance accordée à chacun de leurs élèves au niveau des apprentissages et la bienveillance démontrée dans différentes situations sont autant de preuves tangibles des qualités que je leur reconnais et que j’admire depuis longtemps.

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Nous voici maintenant à l’automne.  Port d’équipements de protection individuelle (EPI), nombreuses absences quotidiennes chez les élèves, nouvelles routines pour se conformer aux règles sanitaires imposées, développement accéléré de compétences technologiques, enseignement à distance, etc.  Autant de contraintes que les enseignant(e)s (et nombre d’autres catégories de personnel des écoles…) surmontent quotidiennement, au plus grand bonheur de leurs élèves, pour assurer la poursuite des apprentissages.  Autant d’arguments pour moi d’affirmer qu’ils sont de réels anges gardiens de l’éducation.  Je n’attendrai donc pas une conférence de presse de nos élus pour le clamer ou encore une démonstration populaire avec fanfare et trompettes pour l’illustrer.  Non.  Aujourd’hui, j’ai déjà toutes mes raisons pour célébrer nos anges gardiens et rendre hommage à ces femmes et ces hommes qui, par leurs actions quotidiennes, influencent les enfants qu’on leur confie.  Bonne journée mondiale des enseignant(e)s !