Un vrai marathon !

Ça y est, on voit le fil d’arrivée! Dire que l’année qui se termine a été à l’image d’un marathon serait un euphémisme, mais je le pense et je l’écris sciemment. Et je sais de quoi je parle, même si mes belles années de course à pied remontent à près de 25 ans. En effet, à l’époque, j’ai cumulé nombre de 10 km, quelques 20 km et un demi-marathon ainsi qu’un marathon complété en 3:49:49. Mon objectif de l’époque pour cette première course de 42,195 km était de la conclure en moins de 4 heures. Mais, en secret, j’osais simplement la terminer sans trop de mal. Tout à fait à l’image de cette année COVID…

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Quiconque travaille en éducation sait pertinemment que le cliché du marathon, fréquemment utilisé afin d’illustrer une année scolaire, n’est pas si loin de la réalité. Il faut d’abord savoir (ou parfois apprendre à nos dépens…) démarrer lentement, sans se laisser emporter par l’adrénaline de la course puis doser nos énergies pour éviter de vider nos réservoirs avant le fil d’arrivée. Il faut aussi, de temps à autre (souvent?), composer avec les éléments : le vent de face, les montées, la pluie, etc. Bref, surmonter les obstacles et maintenir le rythme, notre rythme. Finalement, il faut arriver à traverser le mur. Ce fameux mur, frappé autour du 30e kilomètre, où on a l’impression que nos réserves sont à zéro et que nos jambes sont coupées en plus d’avoir le moral au plus bas. Ce mur qui nous force à ralentir le rythme considérablement, pour parfois le réduire à une marche… et mieux repartir afin de terminer en force. Ainsi, en année de pandémie, tout ce que je viens de décrire a été rencontré, à différents niveaux, de différentes façons et pour différentes raisons. Nous étions alors tous véritablement engagés dans un marathon, cette course mythique du messager grec Phidippidès qui aurait parcouru la distance d’une quarantaine de kilomètres de Marathon à Athènes afin d’annoncer la victoire contre les Perses en 490 avant Jésus-Christ.

Notre marathon a donc débuté avec un Plan de la rentrée connu à la dernière minute et la rédaction d’un plan d’urgence où, dans les deux cas, il était facile de s’emballer pour tenter de tout faire comme avant en plus des nombreuses adaptations rendues nécessaires et des divers protocoles ajoutés pour la sécurité de tous.  Il aura fallu faire des choix, parfois déchirants, afin de mesurer et répartir sagement nos ressources ainsi que nos énergies.  C’était la seule façon de penser pouvoir terminer le parcours qui était devant nous et pour lequel, contrairement aux adeptes de la course à pied, nous n’avions aucun entrainement (je ne compte évidemment pas celui réalisé au printemps 2020 puisque complètement différent – à tout le moins, pour les écoles de la grande région de Montréal).

Des obstacles?  À chaque jour ou chaque semaine à certains moments.  Le plus grand?  L’incertitude, la perte de plusieurs repères, les difficiles adaptations, l’incohérence, les cas et les éclosions amenant des absences (personnel et élèves) sur des périodes plus ou moins longues, la fréquentation partielle des élèves du 2e cycle du secondaire, le prolongement de certaines mesures, …  Toutes ces réponses!  Mais, à la manière d’un mantra, il fallait se répéter les mots interdépendance – créativité – persévérance pour se recentrer sur l’essentiel et garder le rythme tout au long de notre année marathon ou éviter de dévier de notre trajet.

Puis, à l’instar du mur qui frappe après avoir parcouru environ les 7/10 de la distance totale, c’est au retour de la semaine de relâche du mois de mars, avec la montée des variants et l’obligation du port du masque de procédure pour tous les élèves du primaire, tant dans les espaces communs et les déplacements qu’en classe, que nous avons pris la mesure de la contagion du virus. Alors qu’on espérait que tous les efforts réalisés depuis la rentrée, tant individuels que collectifs, allaient nous épargner une 3e vague ou que les mesures allaient éventuellement s’assouplir avec le retour du beau temps printanier, on a frappé notre mur. Dès lors, on comprenait que rien n’était gagné pour la fin de cette course amorcée à la rentrée. Qu’à cela ne tienne, on n’allait pas baisser les bras, ralentir notre cadence, ou pire encore, arrêter. Pas après tant d’efforts et de chemin parcouru! C’est donc avec quelques ajouts aux protocoles déjà en place, de nouvelles routines et une vigilance accrue que nous avons relancé notre marathon en étant persuadés qu’on finirait par traverser le fil d’arrivée et que l’année scolaire se terminerait de belle façon. Comme dans le cas d’un coureur, c’est d’abord dans la tête qu’on traverse le mur… Ensuite, on puise dans nos ressources. Et c’est exactement, dès le mois de mars, ce que tous les acteurs du monde de l’éducation ont fait pour s’assurer de terminer l’année en force.

À tous les « coureurs » du monde de l’éducation, des plus aguerris aux néophytes, ceux qui ont plusieurs courses à leur actif ou ceux qui en étaient à leur première, je dis bravo pour ce marathon hors du commun. Aucune préparation et aucun entraînement n’étaient possibles pour ce qui dure depuis le 12 mars 2020. Vous êtes de grands athlètes et vous méritez toutes et tous, peu importe votre rôle dans votre équipe-école, une médaille pour la grande capacité d’adaptation dont vous avez fait preuve au quotidien ainsi que l’incroyable résilience que vous avez su démontrer tout au cours de la dernière année. Vous pouvez être fiers de ce que vous avez accompli. Le repos estival sera bienvenu, mérité et nécessaire. Il nous permettra, entre autres, de faire le plein d’énergie afin de compléter notre prochain marathon qui, espérons-le, sera plus facile et prévisible que celui de l’année scolaire qui s’achève dans quelques jours. Bonnes vacances!

La COVID-19 ou l’exacerbation du savoir improviser

À l’heure des bilans, comme on le fait souvent en fin d’année civile, je repense à tout ce qu’on a vécu depuis le mois de janvier dernier et plus particulièrement à partir du 12 mars.  Ça ne devait durer que deux semaines qu’ils disaient…  Quels bouleversements incroyables dans le quotidien des enseignants !  Quel chambardement au niveau des pratiques éducatives connues depuis fort longtemps !  Qu’il s’agisse de l’enseignement ou de l’évaluation, la plupart des repères ayant servi jusque-là se sont évanouis du jour au lendemain.  Exit la routine, les vieilles habitudes ainsi que les sentiers balisés !  Idem pour les directions d’établissement et combien d’autres membres du personnel de nos écoles.  Le contexte pandémique totalement inconnu, voire même surréel, imposait alors de nouvelles règles qui généraient chacune leur lot de défis et d’incertitudes.  Le travail du monde scolaire, particulièrement celui des enseignants, avait un tout autre visage.

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L’effet enseignant réfère à l’influence, parfois sans trop le savoir ou le réaliser, qu’un enseignant ou un autre membre du personnel d’une école exerce sur l’apprentissage, le développement et la réussite des élèves qu’on lui confie.  Ce travail est loin de se limiter à maîtriser un contenu et à le diffuser tout assurant une saine gestion de la classe.  Non, c’est beaucoup plus que cette vision mécanique de la chose.  Beaucoup plus !

C’est en lisant un court article signé par le professeur Jean-Pierre Pelletier portant sur le savoir improviser que j’ai réalisé combien la capacité à improviser des enseignants ainsi que la créativité étaient au cœur de l’acte professionnel, comment elles influençaient positivement l’effet enseignant.  Combinées l’une à l’autre comme deux ingrédients essentiels d’une recette, elles se sont avérées vitales depuis mars dernier.  En effet, quiconque s’est déjà vu confier un groupe sait combien le climat de classe qu’il instaure, les stratégies éducatives qu’il met en œuvre et les liens qu’il entretient avec les élèves sont déterminants pour « ouvrir la porte de l’apprentissage » chez chacun d’entre eux.  Ce n’est d’ailleurs pas étonnant que 10 des 16 premiers facteurs ayant une très grande influence (« d » ≥ 0,80) selon le classement de Hattie se rapportent directement à l’enseignant, aux méthodes d’enseignement ou encore aux stratégies pédagogiques.

« La gestion de classe, c’est en bonne partie la gestion des imprévus.  Et la profession d’enseignant en est remplie au quotidien !  Qu’ils soient novices ou expérimentés, les enseignants improvisent d’innombrables fois par jour, que ce soit devant un élève en crise de panique, une alarme de feu, une guêpe sur un bureau, une question volontairement embêtante, un bris d’équipement…  Devant ces situations, l’enseignant doit rehausser sa vigilance et sa créativité.  Il passe en « mode improvisationnel », ce qui lui permet de voir la situation autrement et de transformer l’imprévu en potentialité. »

Gérer sa classe en temps de COVID : le savoir improviser au secours des enseignants

Le Soleil, édition numérique, 13 décembre 2020

Ainsi, le défi pas toujours évident à relever en présentiel pour plusieurs enseignants s’est vite complexifié lors du long confinement ou encore avec toutes les mesures sanitaires imposées (à juste titre) lors de la rentrée de septembre.  Comment maintenir une relation personnalisée et positive avec chacun de nos élèves à travers une caméra et un micro ?  Comment déceler les signes d’incompréhension ou d’inattention dans une mosaïque à l’écran ou encore derrière un masque ?  Comment continuer à motiver nos élèves les plus vulnérables alors que plusieurs activités scolaires originales et signifiantes ne peuvent avoir lieu ou qu’une très grande majorité des activités parascolaires sont suspendues?  Autant de questions auxquelles le réseau a été confronté depuis mars dernier et qui risquaient de miner l’effet enseignant.

Rapidement, nous avons su faire autrement.  Le nous réfère d’abord aux enseignants, mais aussi, au sens large, à mes collègues de la direction ainsi qu’au personnel de soutien.  J’emploie volontairement l’expression faire autrement pour me permettre d’insister sur l’immense créativité de certains et la grande capacité à improviser des autres.  Il fallait non seulement faire autrement quelque chose que les enseignants n’avaient jamais imaginé faire, mais il fallait en plus, pour nos élèves, aussi bien le faire qu’en classe.  En formation des maîtres on insiste sur planification adéquate et une préparation rigoureuse, mais les qualités d’improvisateur d’un enseignant se sont avérées tout aussi essentielles.  Je dirais même vitales afin de réagir rapidement désamorcer une situation, saisir une opportunité pour illustrer différemment un concept ou une notion, modifier la planification à la suite à un imprévu, etc.  C’est précisément à partir de là qu’on a vu des gens apprendre à maîtriser les possibilités d’une plateforme de visioconférence en une fin de semaine, planifier des entretiens personnalisés en marge du contenu des journées de continuité pédagogique à distance, enseigner devant la porte d’un lave-vaisselle qui servait de tableau blanc, collaborer étroitement avec les collègues sur différents aspects de la tâche ou encore explorer ensemble de nouveaux outils tant pour l’enseignement que pour la rétroaction à offrir aux élèves.  Sans que ce soit simple ou aisé pour le personnel des écoles (et je parle ici en toute connaissance de cause…), le contexte pandémique nous aura tout de même permis d’améliorer notre capacité à accepter de ne pas être en plein contrôle, à démontrer davantage de souplesse, à être créatifs sous pression ou à rebondir à partir d’une contrainte.  Ces quelques illustrations du faire autrement développé depuis mars dernier démontrent avec éloquence que la créativité, la collaboration et la capacité à improviser sont des compétences qui, bien qu’ayant toujours été utiles au monde de l’éducation, sont maintenant jugées indispensables pour plusieurs.  Rien ne sera plus comme avant…

Les derniers mois auront donc été fort différents et, comme le disait l’aventurier Frédéric Dion, « Les plus grands obstacles à nos réalisations de demain sont nos doutes d’aujourd’hui ».  Pour lui, tout le succès de ses aventures réside dans l’application et le respect des trois lois de la Nature :  l’interdépendance, la créativité et la persévérance.  Ainsi, le 12 mars dernier, nous n’avons eu ni le choix ni le temps de douter.  Nous avons été plongés, bien malgré nous, dans une épreuve hors du commun où l’histoire s’écrivait au fur et à mesure.  Qu’à cela ne tienne, c’est en faisant preuve d’une collaboration extraordinaire, en démontrant toutes nos capacités à improviser habilement tout en étant définitivement résolus à faire autrement que nous y sommes arrivés.  Nous ne sommes certainement pas au bout de nos surprises sur toute ces forces insoupçonnées ainsi que nos atouts professionnels qui pour la plupart, espérons-le, seront maintenus et réinvestis dans les prochains mois, les prochaines années.  La pandémie aura eu au moins ça de bon…

Bonne année 2021 ! Collaboration, improvisation, créativité et résilience à chacune des 52 prochaines semaines !